David Marmonier directeur du centre Edmond Michelet m'a communiqué une copie du 2eme tract de Michelet, qui daterait de juillet 1940 et que j'ai retranscrit le plus fidèlement possible (ponctuation ...)
Tract
- NOTES D'ACUALITES POUR ESSAYER D'Y VOIR CLAIR -
PREMIERE CONSTATATION , tous les Français de la Métropole - ceux des territoires occupés comme les autres - sont aujourd'hui prisonniers chez eux. Sur cs point précis, leur sort est semblable à celui des Danois et des Norvégiens , des Tchèques et Polonais. Nous étions tous unanimes, hier pour plaindr ces malheureux d'avoir perdu, avec leur liberté, le droit d'être renseignés.
Nous rendons-nous bien compte que nous sommes, désormais, logés exactement à la même enseigne qu'eux ?
- Pourquoi, dans ces conditions, nous torturer le cœur et l'esprit à l'annonce de nouvelles qui ne nous arrivent qu'avec le visa de la censure hitlérienne? Aurait-on déjà oublié que la technique du mensonge est érigée en institution d'État dans le Troisième Reich ?
- La guerre militaire est peut-être terminée (à vrai dire, on n'en est pas bien sûr). Ce qui est certain, c'est que la guerre des nerfs continue.
- Infortunés journalistes ! Quel métier est le leur ! - Les voilà tous attelés à commenter dans le même orientation, les mêmes mots d'ordre, les mêmes informations (vraies ou fausses). On comprend mieux, maintenant, pourquoi ils portent un uniforme dans les Pays d'à côté. Mais les nôtres vont-ils accepter d'en venir jusque là ?
On peut affirmer que les seuls journaux intéressants à l'heure qu'il est, sont ceux qui ne paraissent plus : l'OBSERVATORE ROMANO par exemple
- Remarque, Jacques BONHOMME qu'il te reste tout de même trois motifs sérieux d'acheter ton journal :
1) Les petites annonces - si tu veux acheter un piano d'occasion, par exemple :
2) Les mots croisés, et le feuilleton pour oublier un moment les embêtements de l'heure ; ils ne manqueront pas.
- Pour essayer de te faire une moyenne d'information, essaie, pendant qu'il est encore temps, de prendre Londres ou New-York à la radio mais c'est assez câlé ; Jamais Stuttgart n'a été brouillé comme le sont les deux postes de ces pays encore libres.
- La remarque qui précède ne veut pas dire qu'il te faudra croire tout ce que tu pourrais entendre de LONDRES ou de NEW-YORK à la radio mais que, si tu es honnête , tu devras essayer de former ton jugement en tenant compte de ces éléments d'information. Plus que jamais, le vieux dicton est vrai i "Qui n'entend qu'une cloche n'entend qu'un son".
- Quand tu te trouves brusquement devant l'annonce d'une nouvelle sensationnelle, imprévue, et qui te déroute, c'est le moment ou jamais de te poser la question i « Is fecit qui prodest ».
- Non pas une, mais dix, cinquante fois, Hitler a déclaré qu'il se servirait du premier adversaire qu'il aura abattu pour exiger de lui une aide totale pou_ abattre l'autre. Hitler annonce toujours à l'avance ses intentions - mais on ne le croit jamais.
- II y a des Français qui disent, d'un air, mi-satisfait, mi-rassuré : « Mais après tout, ces Allemands sont très corrects dans les Régions qu'ils occupent ». A Ces Français, il convient de faire relire le passage, suivant do Mein Kampf (Page 759 de l'édition originale : "Un vainqueur avisé n'imposera toujours que progressivement ses exigences au vaincu ...
- Mais, au fait, combien y a-t-il de Français qui ont lu Mein Kampf ?
- On entend dire aussi : " Pourquoi donc le Pape ne parle-t-il pas ? " Mais s'il parlait aujourd'hui en faveur de la France, s'est-on avisé que nous n'aurions plus les moyens de le savoir ? A-t-on oublié que l'encyclique qui condamne le nazisme n'a jamais pu parvenir aux Catholiques Allemands ?
- Et, puis, le Pape a déjà parlé, Dans son allocution de Noël dernier, il précisait, en cinq points, les conditions d'une paix juste et honorable :
1) Toutes les nations ont droit à la vie et à l'indépendance,
2) La course aux armements doit prendre fin.
3)I1 faut créer des institutions juridiques internationales.
4)Il convient d'examiner les justes requêtes des minorités.
5) I1 est nécessaire de rétablir la notion de justice entre les peuples.
Avouons que nous n'osons pas en demander tant...
Ce n'est pas le péril allemand qui est le plus dangereux, c'est le péril hitlérien
- Le danger allemand, la France a montré de 1870 à 1871 et de 1914 à 1918 qu'elle pouvait s'en tirer. Mais comment va-t-elle réagir devant les doctrines du nazisme païen qui menacent sa civilisation ; la civilisation chrétienne ?
- Si tu hausses les épaules devant les " institutions juridiques internationales" que réclame Pie XII à la suite de ses prédécesseurs ; si tu ne crois pas qu'il existe un Droit et une Morale pour les peuples comme pour les individus ; si tu crois à l'inégalité des races ; à la suprématie de la Force, fais bien attention ; tu te diriges à grands pas vers le panneau du nazisme.
- Il est bien possible après tout (mais ce n'est tout de même pas absolument évident que Machiavel soit, en fin de compte, le fin du fin en politique ; il reste que ce n'est pas avec un tel maître qu'on refera une France chrétienne, et qu'il serait tout à fait contre-indiqué de présenter " LE PRINCE " comme livre de lecture aux enfants de ce Pays, si l'on a l'ambition de vouloir refaire l'âme française.
- Il est beaucoup trop prématuré pour porter un jugement sur cette invraisemblable et douloureuse défaite militaire. Trop d'éléments - presque tous, à vrai dire - nous manquent encore et ne nous seront connus que lorsque nous aurons recouvré la Liberté. - On voudrait seulement être sûr que l'abominable mot de Ranc après SEDAN en 1870: " Les Armées de l'Empereur sont battues" n'a pas été répété ici, avec une légère variante.
Puisque, pour le quart d'heure, tu ne peux rien pour modifier le évènements, ne t'irrite donc pas dans le vide. Reste calme. Si tu as le bonheur d'être chrétien , tu gardes l'immense ressource de la prière et de la méditation. Dans tous les cas, tu peux relire tes auteurs préférée, entendre de la musique (classique, bien entendu", comme disait la pitoyable radio française lorsqu'elle était en train d'agoniser).
Reprends les grands poèmes oubliés " Poésie, c'est délivrance- disait MISTRAL,. Et puis, dors tranquille :
"Celui qui ne dort pas est infidèle à l'Espérance.
"La sagesse humaine dit : Malheureux qui remet à demain .
"Et moi, je dis : Heureux, heureux qui remet à dessin.
"Heureux qui remet. C'est-à-dire heureux qui espère. Et qui dort " (1)
(1)PEGUY - Le Porche du Mystère de la Deuxième vertu
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