Comme si l'on pouvait savoir si l'Angleterre ne ferait pas la paix avec Hitler !
Comme si l'on savait d'avance que Hitler attaquerait l'URSS, son alliée, en 1941, un an après, jour pour jour !
Et que le Japon attaquerait l'Amérique cinq mois plus tard !
Ou qu'un progrès décisif dans les techniques d'armement (la bombe A, par exemple) ne rendrait pas Hitler invincible !
A-t-on le droit de reprocher à un dirigeant politique de n'avoir pas le don d'Adèle ?
Ou bien, au contraire, l'honneur de l'historien ne consiste-t-il pas à situer la décision politique dans le hic et nunc avant d'en effectuer l'évaluation ?
A part la grave confusion, idéologiquement intéressée, entre pacte germano-soviétique et alliance (comme si Staline avait trouvé quelque sujet de joie dans la victoire hitlérienne sur la France), et ton reproche, qui se trompe d'adresse, de ne pas tenir compte des enjeux, informations, et appréhensions de juin 40, je trouve que tu poses fort bien les problèmes. Tu m'apportes un renfort appréciable pour faire admettre ce que je clame depuis 1992 dans un relatif désert : le désespoir de juin 40 devant les succès allemands est à la fois profond et quasi-universel. En d'autres termes, Churchill et de Gaulle sont à la fois lucides et frappadingues, et il n'y a aucun déshonneur à ne pas partager leurs paris.
Mais il y a peut-être de la bêtise, du moins chez les Français. Quant à l'honneur, il pourrait être utile d'en demander la recette à un spécialiste, valeur sûre de la culture française, j'ai nommé Pierre Corneille :
Que vouliez-vous qu'il fît contre trois ? -Qu'il mourût
Ou qu'un beau désespoir alors le secourût.
N'eût-il que d'un moment reculé sa défaite
Rome eût été du moins un peu plus tard sujette.
L'Angleterre, précisément, a beaucoup à perdre en continuant la guerre, et d'ailleurs va le perdre, l'Amérique ne lui faisant aucun cadeau aux Indes et ailleurs. Mais la France ? Elle n'a peut-être pas beaucoup à espérer côté anglais mais rien n'est sûr, tandis que côté allemand tout est joué : si l'armistice anglais suit de près le français, Hitler a les mains libres pour l'écraser définitivement et il est absolument certain qu'il ne va pas s'en priver.
Tous ces sauvetages que tu nous détailles, souvent à tort mais pas toujours (et en ne te demandant jamais ce que Hitler attendait et calculait, ni ce à quoi il tenait), découlent du fait que Churchill a espéré contre toute espérance. Tes grands héros, non seulement ont tourné absurdement le dos à l'espérance, et n'ont rien trouvé de mieux à faire que de se jeter aux pieds du bourreau en l'implorant, mais ont ce faisant savonné la planche à Churchill et compliqué énormément sa tâche. Avec un peu plus de réussite, il l'auraient fait tomber et ces grands patriotes auraient tout simplement rayé leur pays de la carte. |