Bonsoir,
... Une mauvaise foi ajoutée à une réelle incompréhension chez Jean Moulin de ce que désiraient les cadres des mouvements, ces "seconds" de "Combat" mais aussi de "Libération" et de "Franc-Tireur" qui étaient en contact quotidiennement avec la base, les militants.
Moulin, on le sait, a fait sienne dès 1941 la position du général de Gaulle, avec tout ce qu'elle comporte d'approximations sur les conditions du combat de mouvements de la Résistance intérieure. Il est de retour en France pour appliquer les ordres de Londres et pour cela analyse toute opposition comme un danger potentiel dirigé contre le plan politique de de Gaulle. Il filtre tout à travers la grille de lecture gaulliste.
A ce moment de la guerre, la plupart des résistants perçoivent de Gaulle comme un symbole certes nécessaire mais de qui on n'accepte pas n'importe quel ordre. Il y a de plus , on l'a vu, une méconnaissance certaine du terrain chez Jean Moulin et aussi, hélas, une dose de mauvaise foi.
Le livre de Belot rectifie l'image trop souvent colportée d'un Frenay piètre politique au sein de la Résistance intérieure opposé à un Moulin très brillant, ce qui demande à être nuancé: s'il est juste de souligner que par rapport à un de Gaulle (et à son envoyé), le chef de "Combat" semble un peu naïf de croire que le chef des Français libre va le laisser occuper une place de décision après la libération, à ce moment de la guerre, Frenay a le soutien direct de la quasi totalité des cadres et des militants des mouvements qui ont accepté de fondre leur autorité dans ces MUR dont Belot se demande, à juste titre, s'ils ne furent pas une coquille un peu vide ou un os à ronger pour les "phosphorants" proches de Frenay...
Voici un extrait concernant un rapport que Jean Moulin destine à De Gaulle au début mai 1943 et dans lequel il insiste sur le "problème" Frenay.
Robert Belot :
"Moulin est-il en train de reconnaître que le Comité Directeur des MUR était un piège fourbi contre les chefs historiques de la Résistance ? (...)
Pour Moulin, l'affaire est simplement personnelle : Frenay est habité du "désir de jouer le premier rôle". On s'étonne que Moulin restitue de manière si partielle et partiale le point de vue de Frenay, qui est aussi, globalement, le point de vue des autres membres du CD MUR et des cadres de Combat . Il veut ignorer (et faire ignorer à De Gaulle) les raisons profondes et justifiables qui font que Frenay est à vif : son rôle de fondateur, sa responsabilité vis-à-vis des militants, l'antimilitarisme de ceux-ci, sa thèse de l'unicité de la Résistance, son caractère révolutionnaire. Cette non-restitution a trois causes possibles : l'amertume de Moulin (qu'on peut comprendre), une tactique visant à la neutralisation de Frenay, une méconnaissance de ce qu'est la Résistance." p. 342-343.
Et Belot de citer Guillaume Piketty qui avait déjà mentionné une attitude semblable - méconnaissance, machiavélisme politique et mauvaise foi - de Moulin à l'égard du travail effectué par un Pierre Brossolette en zone Nord...
C'est alors que vient se greffer l'affaire suisse qui va permettre à Moulin de faire passer Frenay pour un partisan des Américains, et donc de Giraud puisque les services US le soutiennent totalement contre De Gaulle !
Cette biographie très précise permet donc au lecteur de reconsidérer les positions de Frenay et de Moulin en dehors des présupposés "gaulliens" souvent attachés à l'action de l'ancien préfet auprès de la Résistance intérieure.
A suivre...
Cordialement,
René Claude |