Le Groussard du printemps 1941 n'a pas encore abandonné son projet de travailler avec des éléments de l'Etat vichyste - mais l'abandonna-t-il jamais ? On peut en douter... Il est persuadé qu'il faut s'entendre avec Londres et, pourquoi pas, tenter de prendre langue avec la France libre.(ce qu'il fera avec Passy du BCRA). ll croit encore qu'une partie "saine" du nouveau régime pourrait s'entendre avec les Britanniques. Vichy serait alors non un "ennemi secondaire" mais un "atout".
Comme le souligne Belot, Groussard n'a pas encore désespéré de Vichy. Il retourne voir Huntziger qui lui conseille plutôt vaguement de maintenir ses contacts tout en lui faisant comprendre qu'il n'a aucun pouvoir pour le charger d'une mission de cette envergure; il demande au colonel de ne surtout pas le citer publiquement. (p. 207) Ménétrel - qui ne sait pas le but de Groussard - lui obtint des (faux) papiers et le 14 juin, il est en Grande-Bretagne où, il obtient avec une surprenante facilité un rendez-vous au 10, Downing Street. Il rencontre Churchill en personne. Groussard lui dit ce qu'il doit lui dire, c'est-à-dire pas grand-chose. Selon ses Mémoires, il lui aurait suggéré de l'aider à travailler à "la réalisation d'une entente secrète entre certains membres du gvt. de Vichy et la France libre", et même à la naissance d'une "entente entre de Gaulle et Pétain".
Et plus bas, Belot écrit encore :
A Antony Eden (...), Groussard aurait parlé de sa volonté d'unifier la "résistance apolitique" qui se lève en France intérieure. Il ne semble pas être pris au sérieux. A un autre interlocuteur (...), Groussard aurait affirmé que le chef de la France libre "cristallise actuellement presque toute la Résistance intérieure de la France" et "qu'il n'est pas un homme intelligent et patriote qui, même à Vichy, ne comprenne l'immense bienfait que l'appel du 18 juin représente pour [son| pays".
Mais sur ce point, l'expertise du chercheur tombe, sans hésitation :
Il s'agit à l'évidence d'un propos reconstruit rétrospectivement : Groussard s'efforce d'apparaître à la postérité comme un homme qui n'est pas (plus) antigaulliste. Car l'essentiel du propos de Groussard, (...) , vise à faire apparaître Vichy aux yeux de ses intelocuteurs (anglais et français) comme un régime acceptable, voire prérésistant, à cause des quelques individus qui lui avaient tenu un discours anti-allemand. Il se trompe et trompe les autres, puisque lui-même admet, dans ses Mémoires, que Pétain croyait à la victoire allemande à cette époque..
Pour la suite, il sera bien intéressant - à la lumière de ces mises au point sur la/les position(s) politique(s) du colonel - de lire ce que Robert Belot a trouvé concernant l'implication du réseau Groussard dans l'affaire de Caluire; on sait qu'Edmée Délétraz, une agente double voire triple de Groussard, a continué à travailler pour le SD (Barbie) sur son ordre.
A suivre...
RC |