***9 millions "d'indigènes" pour un million d'européens dans un contexte d'émancipation générale des peuples et sur une terre conquise militairement depuis à peine plus d'un siècle. Comment vouliez-vous que cela puisse se terminer ?***
Le dernier ouvrage que lisait Jacques Baumel quand la maladie le lui a fait tomber des mains était une brochure de Raymond Aron favorable à l'indépendance de l'Algérie et datant de 1957. Voilà comment notre commun livre, à paraître chez Plon le 1er juin, résume l'affaire :
Ma propre évolution sur le problème algérien doit beaucoup à Raymond Aron, que j’avais connu de près à la rédaction de Combat. Ce grand universitaire devenu journaliste, politiquement inclassable -n’avait-il pas adhéré au RPF sans être gaulliste ?- avait été l’auteur en 1957 d’une brochure dévastatrice (note : La tragédie algérienne, Plon, été 1957). Avec sa froideur et son autorité de savant, il causait d’économie et de démographie, en montrant que l’intégration serait un gouffre financier, que dans le meilleur des cas le pétrole récemment découvert au Sahara ne le comblerait qu’en partie et que l’indépendance du Maroc et de la Tunisie facilitait considérablement la propagande indépendantiste du FLN. Ecrivant sa conclusion sous le choc de l’horrible massacre de Melouza, il n’en déduisait pas comme presque tous que le FLN était infréquentable mais bien plutôt qu’il fallait se hâter de négocier avec lui, en faisant si possible une place aux messalistes dans la discussion. Le retour du Général au pouvoir et l’intérêt qu’il avait soulevé, y compris chez les musulmans, avaient ravivé dans nos rangs d’autres espoirs. L’évolution des choses devait vite susciter, du moins dans mon esprit, une reprise du travail de réflexion que les analyses d’Aron, convergeant avec les confidences du général de Gaulle avant 1958, avaient déclenché.
En d'autres termes, une évolution différente était tout à fait possible. Il suffisait qu'il y ait à Paris, assez tôt, un gouvernemnt qui mette aux pieds-noirs le marché en main : on vous aide OK mais pas à fonds perdus, vous vous débrouillez pour aller vers une entente avec la majorité, et vous restez massivement sur place, en tant que cadres d'un pays voué à être l'un des plus riches du Tiers-monde.
Après tout c'est bien ce qui se passe aujourd'hui, malgré mille difficultés, en Afrique du Sud, et c'est bien vers quelque chose de ce genre qu'il faudra, à plus forte raison (pas de pays de repli), arriver entre Israéliens et Palestiniens.
Et en Algérie c'est bien ce que de Gaulle a essayé, mais les pieds-noirs se sont, dans leur grande majorité, arc-boutés contre cette logique. |