Page 135 de "Croisade en Europe"
Avec Darlan, nous nous trouvions en présence du chef des Forces Françaises combattantes! Nous aurions pu, purement et simplement, le mettre en prison. Mais, Darlan étant en mesure de donner tous ordres nécessaires aux bâtiments de la très importante flotte française basée tant à Toulon qu'à Dakar, nous pouvions peut-être, grâce à lui, réduire immédiatement la menace navale en Méditerranée et même avoir la joie d'accroître nos propres forces navigantes. Peu de temps avant que je ne quitte l'Angleterre, M. Churchill avait fait cette étonnante remarque :
« J'ai beau détester Darlan, si je pouvais le rencontrer, j'accepterais de gaîté de coeur de faire un « mile » à quatre pattes si cela devait gagner aux Alliés la collaboration de sa flotte. » !
Mais nous avions une autre raison, bien plus pressante, pour tenter de nous servir de la position de Darlan. Dans ses rapports avec les militaires et officiels français, le général Clark se heurta à ce besoin invétéré qu'ont les Français de donner une apparence de légalité à toutes leurs actions. C'était comme une superstition pour les militaires : leur capitulation de 1940, affirmaient-ils, n'avait été qu'un acte de soldats loyaux obéissant aux ordres légaux de leurs supérieurs civils.
Tous les chefs français, sans exception, avec qui le général Clark eut d'interminables entretiens, refusèrent de faire le moindre geste pour mettre leurs troupes aux côtés des Alliés tant qu'ils n'en auraient pas reçu l'ordre officiel. Tous, ils avaient prêté serment au maréchal Pétain dont le nom avait plus d'influence à cette époque sur les esprits et les actions des hommes d'Afrique du Nord que n'importe quel autre facteur. Aucun de ces chefs ne pensait pouvoir être relevé de ce serment et ordonner le « cessez le feu » sans avoir au préalable reçu les instructions nécessaires de Darlan, leur chef légal, qu'ils tenaient pour le représentant direct et personnel du maréchal Pétain.
Il était donc inutile, à ce moment-là et dans les nombreux jours qui suivirent, de discuter avec un Français, qu'il soit civil ou militaire, sans reconnaître l'influence primordiale du maréchal. Son portrait était partout en bonne place dans les habitations privées, et, dans les édifices publics, ledit portrait était souvent accompagné d'extraits de ses discours et déclarations. Une proposition n'avait de chance d'être acceptée que si « le maréchal y consentait».
Amicalement
Jacques |