Bonjour et merci pour cet esprit de dialogue.
Ce qui a pu pécher dans des échanges antérieurs, c'est ce que j'ai appelé tantôt l'esprit religieux, tantôt la déformation militaire.
Au lieu de s'attaquer au problème, on s'attaque au porteur de la thèse qu'on désapprouve et au lieu de prendre en compte les points forts de son argumentation on cherche une faille afin de disqualifier l'ensemble, comme une brèche qui permettrait de négliger un rempart. On essaie de projeter le faux (réel ou supposé) comme s'il s'agissait du mal (du Malin, du maléfique). Et inversement : le camp qu'on a élu est et a tout bon, on minimise ses brèches et, n'eût-il que quelques tours debout dans un rempart dévasté, on les relie en une muraille de Chine.
L'histoire, ce n'est pas cela. C'est une science, mais perpétuellement inexacte, car elle a pour objet un tout inconnaissable, fait non seulement de ce que d'innombrables personnes ont dit et écrit, mais de ce qu'elles ont pensé, voire du travail de leur inconscient (contrairement aux attaques très à la mode contre la psychanalyse, qui sont d'ailleurs du même ordre que ce que je dénonce ici : il s'agit de se simplifier le boulot en postulant que seul le conscient existe ou du moins que lui seul doit être pris en compte par la thérapeutique).
L'historien, c'est évidemment un simplificateur, faute de quoi il ne pourrait écrire une ligne, mais un simplificateur repentant, jamais très fier de lui, mal à l'aise de devoir tracer de grandes lignes explicatives dans un réel toujours plus compliqué et requérant d'infinies nuances.
Donc, si vous m'avez suivi jusqu'ici, revenons à nos moutons himmlériens et traçons quelques lignes pour schématiser les enjeux. Il faut voir, et peut-être ne le faites-vous pas assez, que tout va très vite.
En matière de nazisme, ce qui me donne peut-être un peu d'avance et d'aisance par rapport à la plupart de mes confrères, c'est que j'ai repéré des permanences, là où ils s'échinent à étudier chaque crise en elle-même (Kershaw étant un exemple parfait de ce fourvoiement, et se condamnant par là même à n'éclairer, parfois fort bien, que le ponctuel). Or qu'y a-t-il de plus permanent que la propension d'une poignée de dirigeants (Göring, Hess et Himmler essentiellement; et aussi, dans un style différent, Schacht, pendant toutes les années 30) à prendre contact avec l'étranger pour dire que le gouvernement est divisé entre durs et mous, et qu'il urge de soutenir les mous ?
Dès qu'il y a Solution finale, par exemple, il y a, souvent via Eichmann c'est-à-dire Himmler, chantage à la non-exécution d'une partie des Juifs moyennant un retournement d'alliances antisoviétique.
Il y a donc dans l'affaire qui nous occupe une double et antagoniste vitesse acquise : celle du nazisme tentateur, qui joue de sa propre cruauté pour embobiner l'ennemi, et celle du SOE dopé par Churchill, qui tend à réduire en bouillie les dirigeants nazis.
Autant je pense que Hitler existe par lui-même, autant je n'arrive pas à trouver chez Himmler la moindre colonne vertébrale, sinon celle que lui donne le précédent. Il a voué sa vie, il n'a strictement rien d'autre à faire que d'accomplir le testament de son maître, ou de disparaître une fois convaincu que c'est impossible. |