Bonjour,
Dans son livre de souvenirs qui est aussi une biographie de sa mère,"Vivre au lieu d'exister" (éd. du Rocher 2001), Mireille Albrecht revient sur son entretien avec l'agente de Groussard.
Selon Edmée Delétraz, après avoir été arrêtée, longuement interrogée puis relâchée par K. Barbie qui lui fit promettre sous la menace de passer pointer à la Gestapo de Lyon lors de chacun de ses séjours, elle est rentrée à Annemasse puis est allée à Genève où elle a prévenu immédiatement Groussard : "Ne changez rien à vos habitudes, retournez chez vous à Annemasse et continuez à travailler pour le réseau. Si les Allemands reprennent contact avec vous, ne leur résistez pas. Vous aurez peut-être l'occasion de me donner des renseignements." (p.419)
Et Mireille d'ajouter :"C'est ainsi qu'elle devenue agent double."
Barbie l'utilisa à plusieurs reprises. Selon elle, chaque fois, elle s'arrangea pour prévenir discrètement quelqu'un du réseau.(Les messages qu'elle laissa le jour de la rafle de Caluire semblent confirmer son attitude.)
Mireille Albrecht poursuit le récit du témoignage d'Edmée :
"Concernant l'arrestation de maman (Berty), voici ce qu'elle m'a dit :"le 27 mai, Barbie m'a ordonné d'aller le lendemain matin à l'hôtel de Bourgogne à Mâcon, pour y retrouver une certaine madame Moulin (Berty Albrecht) qui m'y attendait. Je devais lui donner le message suivant:"Henri va bien, ne vous faites pas de souci, on a eu des nouvelles."(p.420)
Toujours selon Edmée, à l'hôtel de Bourgogne, elle trouve la femme qui lui propose de sortir par prudence. Dans un square proche, Edmée Delétraz prétend avoir révélé à cette madame Moulin que "c'étaient les Allemands qui l'envoyaient vers elle et qui lui avaient donné le message qu'elle lui communiquait." Ce à quoi, la femme aurait rèpondu à Edmée :"Ne vous faites pas de souci, madame, je sais d'où ça vient. Maintenant je dois partir." Elles se séparèrent. Edmée Delétraz fut arrêtée et priée de monter dans une voiture allemande sur le chemin de la gare. Moog et Multon l'interrogèrent afin de savoir ce que la femme lui avait dit. Elle leur aurait répondu qu'elle n'avait rien dit, une fois le message transmis. Après avoir été cuisinée, ils la laissère partir. Selon elle, elle serait alors rentrée à Annemasse pour y faire son rapport à Groussard... Mireille Albrecht écrit que cette version était très différente des témoignages qu'elle avait lus sur la rencontre entre E.Delétraz et Berty Albrecht et l'arrestation de cette dernière. Mireille écrit qu'elle ne pouvait pas croire la version d'Edmée.
Dans la conversation, elle demande à Edmée si après la guerre elle avait eu des ennuis avec la DST. Delétraz lui répondit "presque en riant : Mais je n'ai jamais eu d'ennui avec les inspecteur de la DST. Pourquoi m'en auraient-ils faits ? nous avons travaillé ensemble sous l'Occupation, et pendant des années après la guerre, ils sont venus me rendre des visites amicales. Ils étaient tout le temps chez moi !" (p.421) Faisant un bilan de cette rencontre avec E.Delétraz, Mireille écrit qu'elle avait eu l'impression que cette femme en faisait trop, comme pour essayer de se justifier en insistant sur le fait qu'elle avait joué le jeu des nazis sur ordre de Groussard... Elle avait aussi l'impression qu'elle cherchait à protéger quelqu'un.
Edmée Delétraz reconnut aussi s'être rendue à Genève chaque mardi pour assister aux réunions du colonel Groussard, réunions qui selon elle rassemblaient des agents français, anglais, américains et suisses...et Mireille du suggérer: "et allemands ?" Là, Edmée aurait éclaté d'un rire "de quelqu'un qui laisse tomber ses défenses." (p.422)
Bien sûr, c'est le témoignage d'un autre témoignage et on sait qu'il faut prendre ces récits, fussent-ils marqués comme chez Mireille Albrecht d'une sincérité évidente, avec une grande prudence. Mais si, comme Mireille l'a fait, on recoupe le récit d'Edmée Delétraz sur l'arrestation de Berty Albrecht ("madame Moulin") avec d'autres compte-rendus, on se rend compte qu'Edmée a menti.
Dès lors, le portrait de cette femme prend des nuances plus sombres et on ne peut s'empêcher de trouver son attitude et ses déclarations d'après-guerre contradictoires...
J'en reviens donc à la question que j'ai déposée hier :Pour qui roulait réellement Groussard et a-t'il vraiment insisté auprès d'Edmée Delétraz ("Un ordre" selon elle) pour qu'elle plonge dans le double jeu ?
Amicalement,
René Claude |