A mon avis, Hitler n'a jamais cru à ce plan. J'en ai déjà causé ici :

et là :
Qu'il n'y ait jamais cru n'empêche pas ses adjoints d'avoir supposé qu'il y croyait. Au cours de l'été, il émet un certain nombre de formules en ce sens, ce qui suscitera une sinistre concurrence dans l'attribution du "marché", entre le Ministère des Affaires Etrangères (qui tire le premier, le 3 juin 1940) et le RSHA. Le
Führer a sciemment laissé ses administrations travailler sur des plans qu'il savait inapplicables, en tout cas inappropriés (les bacilles, on les extermine, on ne les envoie pas sous les tropiques). Rademacher et Eichmann, Raeder et Mussolini, Frank et Himmler n'ont été que des dupes, en la circonstance.
Une telle manipulation répondait à plusieurs préoccupations.
En premier lieu, laisser penser que l'Allemagne pouvait se satisfaire d'une zone d'influence en Afrique, ce qui était de nature à rassurer Staline - à la même époque, se met en effet en place une administration coloniale pour la
Mittelafrika, alors que Hitler se contretape d'une telle région, lointaine et stratégiquement fragile. Madagascar s'intègre dans un plan d'intox' plus général destiné à faire croire que le
Reich a laissé tomber tout désir de conquête à l'Est et que Hitler, décidément, est bel et bien un chancelier de la vieille école, soucieux de s'inspirer de Guillaume II, selon lequel l'Allemagne devait se trouver une place au soleil... et pourquoi pas en Afrique.
En deuxième lieu, poser enfin clairement la
Judenfrage en des termes nouveaux. Pour la première fois, il est question de régler le problème posé par
tous les Juifs d'Europe. Pour la première fois, les administrations allemandes réfléchissent à l'organisation d'un programme de déportation totale. Mais si l'intention des SS laisse peu de place au doute s'agissant du caractère "humanitaire" d'un tel projet, il reste que chacun peut conserver sa bonne conscience pour soi. Il n'est pas encore clairement question de génocide mais, "simplement", de déportation. Progressivement, les bureaucrates nazis seront amenés à pondre de plus en plus de plans destinés à résoudre la
Judenfrage à l'échelle européenne. Et vu que l'hypothèse malgache se révèlera comme étant impraticable dans tous les cas de figure, il faudra bien réfléchir à d'autres formes de solution... Et rapidement : Hitler se paie le luxe de faire croire à Hans Frank que les Juifs seront envoyés sur cette île, en sachant très bien que la déception du Gouverneur général qui suivra l'abandon du projet gonflera son exaspération, et le rendra encore plus malléable lorsqu'il s'agira de lui faire admettre l'extermination.
Edouard Husson a certes raison d'insister sur le fait que les bureaucrates nazis ont réellement travaillé l'idée. Or, comme tant d'autres avant lui, il commet, à mon sens, l'erreur de les mettre dans le même sac le
Führer, alors que ce dernier ne jouait pas dans la même cour, et s'efforçait avant tout de les amener, lentement mais sûrement, à admettre l'idée d'un génocide.