Bonsoir Claire, bonsoir à tous,
A propos du débat que vous avez initié sur l'Histoire et la mémoire, je cherchais l'inspiration dans le remarquable livre de Henry Rousso "Vichy. L'évènement, la mémoire, l'histoire". Coïncidence ? Le chapitre 10, pages 473 et suivantes, "L'Histoire, lieu de mémoire - Hommage à Robert Paxton", donne quelques éléments de réponse à votre contribution ci-dessus. Quelques extraits (hors contexte, je le précise) :
*** (...) On l'aura compris que le plus grand défaut de Robert Paxton pour ses adversaires de l'époque était d'être un "étranger", pis encore un "Américain". ***
Rousso reproduit un extrait d'un bulletin d'information des oeuvres sociales du CNRS :
*** Le livre qui a permis la première approche sérieuse de la période 1940-1945 en France a été écrit par un Américain [Robert Paxton]; et l'un des mieux informés sur cette même période est celui d'un historien suisse [Philippe Burrin]. L'accès aux archives étrangères serait-il plus ouvert qu'aux nôtres? ***
Et Rousso de préciser:
*** Dans le déluge de critiques que certains adressent aux historiens français, la non-prise en compte des archives de la Confédération helvétique est sans doute la plus étonnante. Faut-il à cet égard rappeler que toute la documentation de Philippe Burrin, utilisée dans son ouvrage "La France à l'heure allemande", vient évidemment des archives publiques françaises... ?
On peut sourire de tels propos. Mais le cliché qui veut que seuls des "étrangers" puissent, encore aujourd'hui, écrire cette histoire, mérite qu'on s'y arrête car il est significatif du débat toujours d'actualité sur la capacité des Français à affronter leur passé. En ce sens, on peut soulever deux questions: ce cliché est-il justifié ? Qu'il le soit ou non, quelle est sa fonction, et pour quel usage est-il si souvent invoqué ?
À la première question, on pourrait spontanément répondre par la négative. D'une part, il suffit de prendre en compte l'abondante production française sur le sujet. D'autre part, l'histoire étant une discipline scientifique, elle s'exerce dans un environnement qui ne connaît pas de frontières, tous les savants appartenant à la même "communauté du savoir". A cet égard, la notion d' "historien étranger" n'a donc tout simplement aucun sens.
Cependant, ces réponses de bon sens n'épuisent pas le problème. D'abord, la notion d' "historiographie nationale" a toujours une certaine pertinence: on l'a vu plus haut en évoquant le débat sur l' "exceptionnalité" française. Mais surtout, si l'on sort des généralités, on peut constater que les historiens de la Seconde Guerre mondiale ou du nazisme n'ont pas rencontré exactement les mêmes difficultés suivant les lieux où ils exerçaient. Tout comme les historiens allemands du nazisme ou les historiens italiens du fascisme (pour ne prendre que ces deux exemples), les historiens français de Vichy ont été obligés de réfléchir, pour écrire cette page de leur histoire nationale, non seulement aux problèmes intrinsèques et classiques de sources ou d'interprétations que pose l'histoire des années 1930 et 1940, mais également (et un peu plus que d'autres) à deux autres questions de plus vaste ampleur.
D'une part, ils ont été obligés, dans le cours même de leur recherche, de réfléchir, souvent à chaud et en situation, à la manière d'écrire cette histoire, de la présenter au public, de répondre à la demande sociale de mémoire, une demande qui s'est muée parfois en pression médiatique ou judiciaire: en France, elle n'a pas cessé depuis vingt ans. Ils ont donc été plus ou moins contraints d'engager une réflexion originale sur le métier d'historien, comme si écrire l'histoire de cette période faisait sentir, plus que pour d'autres séquences historiques, les limites mêmes du métier en même temps que sa nécessité profonde. Certes, ils sont loin d'être les seuls, et il n'est pas besoin d'être allemand pour saisir les enjeux de l'histoire du nazisme, ni d'être un historien du XXe siècle pour s'interroger sur le métier d'historien. Mais au contraire de leurs collègues, ces historiens sont devenus des acteurs pris dans les enjeux de mémoire nationaux pour lesquels la réflexion sur leur métier n'était pas un simple exercice épistémologique mais une nécessité vitale. ***
Et Henry Rousso de poursuivre en montrant - dans la ligne de son livre précédent "Le syndrome de Vichy" - toute la difficulté pour la France à affronter son passé.
Nous nous sommes un peu égaré par rapport à la question initiale c-à-d le manque d'intérêt des éditeurs français pour les ouvrages en langue étrangère. Je n'ai pas de réponse et je suis même fort étonné de cette désaffection lorsque je constate que les rayons des librairies néerlandophones regorgent de traduction de livres sur la Seconde Guerre mondiale.
Conclusion! Claire! Apprenez le Néerlandais!
Bien cordialement,
Francis. |