Bonsoir,
Dans son essai "Les tabous de l'histoire", (réédité en Pocket, 2004), Marc Ferro aborde la question du tabou de l'antisémitisme de l'Etat français au lendemain de la fin de la guerre. Il écrit :
"Dans sa spécificité, [le sort des juifs] ne fut qu'allusivement évoqué lors du procès Pétain pour autant qu'il n'entrait pas dans le champ précis de l'accusation qui était la haute trahison. (...) Ce fut au procès de Maurras, le vieux leader antisémite de l'Action française, que le tabou fut ouvertement levé lorsque, condamné pour ses appels à la haine, il répondit : "C'est la revanche de Dreyfus."
Marc Ferro écrit ensuite que "les survivants du génocide ne manquèrent pas à leur retour de raconter, par écrit le plus souvent, ce qui avait été leur drame." Il rappelle que l'historienne Annette Wievorka a répertorié 150 témoignages entre 1945 et 1948. Et il ajoute :
"Toutefois, leur désir de réintégration dans la société, corollaire de celui qui conduisait à ne pas ressusciter la discrimination dont ils avaient été les victimes, les amena, comme en témoigne également le comportement des juifs alsaciens, à refouler le désenchantement que pouvait causer, chez eux, le silence de la République sur les crimes qui avaient été commis par l'Etat français. Il y eut bien là un tabou, que, seulement en 2000, leva le président de la République, Jacques Chirac."
La raison de la durée de vie de ce tabou tient peut-être au fait que les postes-clés du "Vichy première période" étaient en grande partie aux mains d'anciens responsables de la IIIe République - Darlan en fut la figure emblématique - qui ne trouvèrent rien à redire aux lois et mesures antisémites décidées par l'Etat qu'ils servirent.
Il y a bien, hélas, une continuité antisémite et xénophobe entre la IIIe République crépusculaire et l'Etat français à travers une partie du personnel qui passa au service de Pétain par opportunisme, peur ou conviction.
Bien cordialement,
RC |