Le deuxième et dernier entretien que le chef des services secrets eut avec Laval eut lieu le 10 juillet
10 juillet
Reçu par le Président [Laval], bourru, crêté, mal disposé. Je ne peux qu'effleurer les questions dont je viens l'entretenir et lui signaler, entre autres la mauvaise foi des Allemands dans leurs négociations avec lui au sujet des échanges prisonniers contre ouvriers.
Le Président aborde de suite la question Devillers [agent allemand infiltré dans le mouvement Combat, arrêté par la Surveillance du territoire et fusillé le 16 avril 1942] qu'il connaît par la version allemande, entièrement inexacte.
Il ne veut pas être contrarié dans sa politique par nos activités CE et SR que les Allemands lui reprochent sans cesse. Sa politique prime les autres soucis. Elle vise à faire une France impériale (intégrité du territoire et Empire occidental africain) et l'abandon de toute politique continentale en Europe. Pour tirer tous les fruits de ses négociations, il entend donner aux Allemands des satisfactions tangibles. Ainsi a-t-il admis que les policiers allemands accompagnent en zone libre les policiers français dans leurs enquêtes.
Sur les atterrissages de parachutistes anglais, Rahn lui a proposé une collaboration entre les 2eme bureaux français et allemands … N'a pas répondu, mais ne semble pas rejeter la formule.
Convient que les Allemands n'approuvent pas unanimement la politique qu'il poursuit et qu'un groupe de militaires, sous la direction de Keitel, la rejettent délibérément en réclamant l'abaissement définitif de la France.
Veut pouvoir parler librement aux autres États et dire entre autres à l'Amérique, qu'il veut ménager pourtant, ce qu'il a à lui dire.
Pressé par le temps, le président ne peut écouter ce que je me proposais de lui dire au sujet de « Nemo » [Service des écoutes téléphoniques du SR] qu'il veut supprimer.
Impression : le Président est buté. Tout doit se plier aux besoins de sa politique. Son sentiment sur nos services, qu'il n'a pas pris la peine d'étudier sérieusement, est fait par son entourage aussi ignorant que lui, mais hostile à ces services. Le docteur Rahn est un de ces familiers ; entre chez le Président quand il veut et lui rapporte les objections et les desseins nourris par les autorités allemandes contre le SR. Le Président n'entend finalement que ce son de cloche et n'est pas disposé à en entendre d'autres.
Fin de l'extrait
Emmanuel |