Pour le texte, voir ici
Si l'éditeur présente ce livre comme une biographie, les auteurs sont à la fois plus modestes et plus ambitieux : ils entendent faire, par rapport au genre, un "pas de côté". Renvoyant à Kershaw, Ullrich ou Longerich les amateurs "de plus amples informations", ils ne prétendent certes pas en donner de brèves, mais présenter leur personnage comme un "condensat" ou un "catalyseur".
La première image semble inappropriée : pour
qu'on dansât
sur cette musique, encore faudrait-il que ce qui est à l'entour du personnage soit gazeux, et lui un concentré des principes de ce gaz, autrement dit une réalité exceptionnellement puissante. La catalyse semble plus proche de ce que les auteurs veulent dire : Hitler, dans la gare parisienne du Nord, ferait plutôt partie des "gens qui ne sont rien" (d'après celui qui présida la France de 2017 à une date encore inconnue) que des fortes personnalités. Ce quidam sans qualités catalyserait donc des "forces émanant de la vertigineuse mutation" du début du XXème siècle, qui "se précipitent" (on a sans doute voulu écrire "précipitent") dans sa vie.
Cette vie exerce un effet en retour. Ah ? faut-il comprendre que la personnalité de Hitler est plus qu'un catalyseur et qu'elle donne au précipité quelque originalité de forme ou de couleur ? Las, un certain nombre de traits censés résumer le nazisme et qui lui sont, de fait, essentiels (militantisme frénétique, appétit -plutôt qu'espérance- impérial, conquête européenne, guerre et génocide),
ne résultent pas de son initiative, pas plus qu'il n'en dirige l'exécution.
Ces réalités viennent "se mêler" à son destin ! C'est qu'il ne faudrait pas donner dans une "lecture personnaliste" de l'histoire (étrange détournement de l'adjectif forgé par Emmanuel Mounier).
Une autre idée juste, le rôle de "matrice" de la Première Guerre mondiale, tant pour Hitler que pour le monde, dérape aussitôt dans l'erreur : cette guerre serait, pour lui du moins, un "horizon indépassable" car il serait resté un "Autrichien provincial installé à Munich". Voici le germe, ou l'effet, du catastrophique chapitre sur la bataille de France, gagnée malgré Hitler car il serait resté "au pas du fantassin".
Avant un dernier paragraphe qui prône de jargonienne façon une histoire "internaliste" (antihèse de l'histoire personnaliste ?), les auteurs livrent une autre clé, qui explique en revanche ce qu'ils disent de plus juste et de plus neuf (et de plus "personnaliste" !). Ils empruntent à l'anthropologue Pierre Clastres (1934-1977) la notion d'être-pour-la-guerre et échappent ainsi à l'idée commune, dont Kershaw n'est pas indemne, qu'en 1939 il espérait qu'on lui passerait sa conquête de la Pologne comme celle de la Tchécoslovaquie.
Mais on voit mal le rapport entre le concept clastrien, portant sur les sociétés sans écriture censées être toutes des "êtres-pour-la-guerre" et l'option belliciste inhérente au nazisme
et, dans l'Europe de ce temps-là, à lui seul.