Il y avait une demande de reconnaissance émanant des associations plus ou moins représentatives de ceux que nous avons coutume de nommer "Gens du voyage" (et qui s'appellent eux-mêmes Gitans dans le Sud et Voyageurs dans le Nord). Ce genre de demandes est récurrent dans le contexte de concurrence mémorielle que nous connaissons. Le président Hollande a répondu à cette attente en participant à une cérémonie à l'ancien camp d'internement de Boullay-Montreuil. On peut lire le texte du discours
ici, historiquement très orthodoxe, mais Libé titre (
ici) « Les Tsiganes internés sous Vichy: Hollande reconnait la responsabilité de la France » . Le Parisien (
ici) qui a titré « Les Tsiganes internés: Hollande reconnait la responsabilité de la France » pointe ensuite Vichy dés la première phrase de l'article. Voir également
Le Monde,
Le Figaro,
L'Obs,et le commentaire de Tony Gatlif dans le
Huffington Post.
Je vais citer ci-dessous quelques extraits de Peschanski, l'historien de référence en matière de camps; le discours de Hollande colle d'ailleurs d'assez près avec la réalité historique telle qu'est est reconstituée par Peschanski. Mais l'ensemble de ceux qui font les media sont prompts à applaudir cette nouvelle repentance française pour aussitôt la concentrer sur un Vichy qui n'a plus grand-chose à voir avec une quelconque réalité historique mais devient le bouc émissaire de toutes les repentances. Bien pratique, on donne satisfaction à des groupes minoritaires et, en quelque sorte, on bat sa coulpe sur le poitrine de Vichy.
Denis Peschsanski,
La France des Camps , L'internement 1938-1946 , 2002, pp. 192-198 :
Peschanski commence d'abord par dresser un panorama de la politique nazie vis-à-vis des Tsiganes jusqu'en 1940, et il poursuit
« Sans surprise, les Allemands furent à l'origine de l'internement des nomades en France occupée. On retrouve dans les mesures un mélange d'impératifs militaires et de volontarisme idéologique. Le 4 octobre 1940, le lieutenant-colonel Hans Speidel, au nom de l'état-major militaire du MBF, envoya au chef de l'administration militaire l'ordre suivant :
1. Les Tsiganes se trouvant en zone occupée doivent être transférés dans des camps d'internement, surveillés par des policiers français […]
2. Le franchissement de la ligne de démarcation est interdit
[l'auteur cite ensuite l'ordonnance allemande le 22 novembre interdisant le professions ambulantes, les autorités françaises s'inquiètent mais pas question de remettre en cause le bien-fondé des mesures visant ls nomades ...] Pareille ambiguité caractérise la position française sur le sujet. Il s'agissait à la fois d'accepter le fait accompli, d'intégrer le dérogatoire à la législation française, [...] mais, également, d'obtenir de de l'occupant qu'il prit en charge le conséquences (financières) de ses décisions. A l'opposition française à l'internement généralisé des nomades se mêlait l'aveu d'une impuissance certaine ; ainsi, le 23 novembre 1940, le 2e bureau du ministère de l'Intérieur répondit à l'adresse de la DGTO :
Encore que la réunion de nomades dans les camps de concentration ne paraît pas désirable, il ne semble pas que, dans les circonstances présentes, le gouvernement ait la possibilité de répondre par une fin de non-recevoir aux prescriptions des autorités d'occupation.
[…]
Chaque fois, seuls les textes de la IIIe République furent sollicités. Contrairement à mon hypothèse originelle, les Tsiganes ne furent pas pris dans la logique d'exclusion prépondérante dans la politique et l'idéologie de l’État français. On n'en trouvera nulle trace, en effet, parmi les figures de l'anti-France si régulièrement tancées par les nouveaux gouvernants et si souvent visés par les nouvelles lois. On s'appuya d'abord sur la loi du 16 juillet 1912 qui leur imposait un carnet anthropométrique […] La loi du 6 avril 1940, on l'a vu, prohiba la circulation de nomades sur l'ensemble du territoire métropolitain pour la durée de la guerre et imposa l'assignation à résidence […]
L’État français s'inscrivait ainsi dans la continuité de la IIIe République finissante. Il n'était pas question d'interner les nomades, mais de les sédentariser, au nom de la conjoncture. Les stéréotypes étaient bien là, mais c'étaient les mêmes qui avaient présidé aux mesures de la « drôle de guerre », les seules auxquelles il était fait référence. Pourtant, un camp fut installé, à Saliers, en Camargue. Créé au printemps 1942, c'était le premier camp de nomades en zone sud, et il n'y en eut plus après […] la gestion du camp était confiée au Service social des étrangers (SSE) et non à l'Inspection générale des camps […] On peut penser que dans l'idée de la SSE, et de son chef Gilbert Lesage, un quaker expulsé d'Allemagne en 1933 qui nenait de front des activités légales et clandestines, et du premier commandant du camp Albert de Pelet, responsable de la branche armée du réseau Vengeance, il fallait éviter un transfert en zone nord et améliorer sensiblement la vie quotidienne des populations
[…] quoiqu'il en soit, l'internement des nomades en zone sud fut un phénomène marginal, et en zone nord, l'internement massif des populations nomades releva d'une décision allemande, même si les préfets et et les autorités locales, comme le reste de la société, se satisfirent d'être ainsi débarrassés de populations indésirables. »
Fin de la citation de Peschanski
Emmanuel