Les détenus des camps de concentration sans protection de la Croix Rouge - 1921-1945 - Cinquante idées reçues sur la Shoah - Tome I - forum "Livres de guerre"
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Cinquante idées reçues sur la Shoah - Tome I / Marc-André Charguéraud

 

Les détenus des camps de concentration sans protection de la Croix Rouge - 1921-1945 de Francis Deleu le vendredi 01 mai 2015 à 11h46

Bonjour,

A juste titre, l’attitude du Comité International de la Croix Rouge (CICR) pendant la Shoah a été critiquée. Mais on oublie trop souvent la lourde responsabilité des Européens à ce sujet. Tel est le thème de l’article que Marc-André Charguéraud nous confie ce mois.

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Les détenus des camps de concentration sans protection de la Croix Rouge - 1921-1945

Pendant les vingt années précédant la guerre, les Occidentaux refusèrent d’approuver les protections proposées par la Croix-Rouge.


Pendant la durée de la guerre, les détenus civils, et parmi eux les Juifs, n’ont pas été protégés par une Convention internationale comme le furent les prisonniers de guerre. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) n’a pourtant pas ménagé ses efforts pendant l’entre-deux- guerres pour promouvoir la conclusion d’une telle convention. On est surpris de remarquer que les Allemands ont constamment été prêts à négocier. Ce sont au premier rang les Français, suivis par les Anglais, qui ont tout fait pour retarder les discussions jusqu’à ce qu’il soit trop tard.

Dès la Xème Conférence internationale de la Croix Rouge en 1921, le CICR suggère l’étude du texte d’une convention protégeant les civils ennemis et les populations sous occupation. Un projet est soumis à la XIème Conférence en 1923. Les participants n’y donnent aucune suite. Au cours d’une Conférence diplomatique à Genève en 1929, une Convention pour la protection des prisonniers de guerre est adoptée.[1] Les participants se contentent de demander au CICR de poursuivre l’étude d’un texte protégeant les civils déportés, réfugiés, travailleurs forcés, internés raciaux, otages ou résistants. Ceux que l’on appelle à l’époque « détenus civils ». [2]

Un projet de convention, connu sous le nom de Projet de Tokyo, est présenté par le CICR à la XVème conférence en 1934. Il est accepté comme base de négociation et l’on charge le Conseil Fédéral Helvétique de convoquer une conférence diplomatique pour arriver à un accord final. « Un refus ferme et net » de la France de participer à une telle conférence retarde la réunion. [3] En 1938, face à l’aggravation de la situation internationale, le Conseil Fédéral reprend son bâton de pèlerin et obtient l’accord des Etats pour une conférence diplomatique dont la date est fixée au début 1940. Trop tard, la guerre rattrape les Occidentaux qui n’ont pas voulu comprendre à temps l’importance du problème.

Le CICR ne se décourage pas. Sans perdre un jour, le 4 septembre 1939, il relance la négociation dans une lettre aux belligérants leur demandant « l’adoption anticipée et au moins provisoire, pour le seul conflit actuel et sa seule durée du projet de Tokyo ». [4] Paradoxalement le CICR ne reçoit qu’une seule réponse, celle de l’Allemagne le 28 septembre. Berlin accepte la négociation. Les Alliés ne répondent pas.

Pressé par le temps, le CICR relance les protagonistes le 21 octobre. La France répond le 23 novembre, expliquant qu’il lui faut encore du temps pour étudier le cas des « détenus civils ». Par lettre du 30 novembre, le ministre des Affaires étrangères du Reich confirme que le « projet de Tokyo peut servir de base à la conclusion d’un accord international sur le traitement et la protection des civils se trouvant en territoires ennemis ou occupés ». [5] Bonne dernière, la Grande-Bretagne répond le 30 avril 1940 qu’elle envisage des accords bilatéraux directs avec le Reich, ce qu’elle n’a jamais entrepris.

Quelles autres initiatives le CICR peut-il proposer face à la carence blâmable des gouvernements ? Il ne faut pas oublier que le CICR n’est qu’une organisation privée, une Organisation non gouvernementale (ONG) dirait-on aujourd’hui. Elle ne peut que proposer. Ce sont les diplomates mandatés par les Etats qui décident.

S’il avait été accepté, un accord conventionnel sur les détenus civils signé par les Allemands aurait-il été respecté par les nazis? Personne ne peut l’affirmer. Une solide base juridique aurait toutefois été mise en place. Elle aurait appuyé et crédibilisé les interventions auprès de Berlin de la Croix-Rouge, des autres associations caritatives, des Neutres et des Alliés. Les détenus civils auraient été protégés par une convention semblable à celle concernant les prisonniers de guerre. Dans l’ensemble les Allemands ont appliqué cette dernière convention aux millions de prisonniers de guerre occidentaux.

Peut-on exclure que les Allemands n’auraient pas agi de même pour les détenus civils protégés eux aussi par une Convention? C’est loin d’être certain. Même si elle n’avait pas été appliquée avec autant de rigueur, il est permis de croire qu’elle aurait protégé un certain nombre de détenus et parmi eux des Juifs. La dizaine de milliers de prisonniers de guerre juifs des troupes alliées n’a-t-elle pas été protégée par la Convention de 1929 ? C’est bien à elle et à elle seule que ces Juifs doivent leur salut.

Dès que la Convention ne s’applique pas, les nazis sont impitoyables. Quelques prisonniers français juifs sont libérés au titre de la relève par des travailleurs allant en Allemagne ou pour raison de santé. Dès leur arrivée à la gare de l’Est, nombre de ces Juifs sont arrêtés et déportés vers les camps de la mort. Libérés des camps de prisonniers ils ne sont plus protégés par la Convention. L’URSS n’a pas signé la Convention sur les prisonniers de guerre. De 70 000 à 85 000 soldats russes juifs ont été exécutés au fur et à mesure qu’ils tombaient entre les mains de la Wehrmacht. [6]

Pourquoi a-t-il fallu que la majorité des Juifs d’Europe ait disparu dans la Shoah ? Que 6 millions d’êtres soient torturés physiquement et moralement avant d’être exécutés pour la seule raison qu’ils étaient nés juifs ? Qu’il faudra que tués dans les chambres à gaz, leurs corps disparaissent dans les fours crématoires et que leurs cendres flottent au gré des vents ou que, tués par la mitraille, leur sang abreuve d’immenses charniers recouverts de chaux vive. Qu’il faudra qu’un nombre au moins aussi élevé d’autres civils innocents soient brutalement arrachés à leurs foyers et disparaissent broyés par la machine infernale nazie ? Pour qu’enfin, le 12 août 1949, la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre soit enfin adoptée par la conférence diplomatique convoquée par la Conseil Fédéral Helvétique.

En retardant ou en refusant la négociation, les gouvernements occidentaux ont pris une très lourde responsabilité envers les détenus civils. Et cela quel que soit le nombre qui aurait été épargné par l’application d’une Convention les protégeant. Chaque civil sauvé compte. Pour les Alliés, l’entière responsabilité des personnes qu’ils internent appartient aux Allemands. On connaît l’ampleur démentielle de la catastrophe qui suivit. Le Comité International de la Croix-Rouge, fort de son expérience pendant la première guerre mondiale, a pourtant pendant vingt ans, sans relâche, expliqué l’enjeu en question et relancé les acteurs pour arriver en temps voulu à un accord salvateur. Il n’a pas été entendu. Le CICR n’a pas réussi à convaincre ceux qui en plein conflit lui reprocheront de ne pas obtenir des nazis un accord pour protéger les détenus civils qu’ils ont eux-mêmes refusé de négocier en temps de paix.


[1] Cette Convention interdisait toutes représailles contre les prisonniers de guerre, codifiait les conditions de la capture et le traitement à l’égard des prisonniers évadés, l’organisation des camps, la nourriture, l’habillement, les mesures d’hygiène, les conditions de travail, les sanctions pénales et disciplinaires, les bureaux de secours et de renseignements, le rapatriement et l’organisation du contrôle.

[2] A distinguer des « internés civils », les citoyens des pays alliés se trouvant sur le territoire du Reich, ou les citoyens allemands se trouvant en terrains alliés lors de la déclaration de guerre. Ils bénéficient du régime de protection des prisonniers de guerre.

[3] BUGNION François, Le Comité International de la Croix-Rouge et la Protection des Victimes de la Guerre, Comité International de la Croix-Rouge, Genève, 1994, p. 143.

[4] POLIAKOV Léon, Le Bréviaire de la Haine : le Troisième Reich et les Juifs, Calmann-Lévy, Paris, 1979, p. 299.
[5] IBID.

[6] DOBROSZYCKI Lucjan et GUROCK Jeffreys, éd. The Holocaust in the Soviet Union : Studies and Sources on the Destruction of the Jews in the Nazi Occupation, M.E. Sharpe, Armonk N.Y., Londres, 1993, p. 211.

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