Son dossier, en fait, est très lourd, depuis sa prise de fonction le 19 mai jusque vers le 25 juillet, date à laquelle son fils et proche collaborateur Jacques dit qu'il a commencé à retrouver le moral. Lui-même n'en soufflant mot dans ses propres mémoires.
-il pousse à un armistice quasiment depuis le début (et bien plus tôt que Darlan); la question se pose sérieusement de savoir s'il est au courant des "conditions clémentes" annoncées par Göring à Dahlerus le 6 mai et transmises à Reynaud par Nordling au plus tard le 20 (information lourdement tabou jusqu'à nos jours mais néanmoins documentée);
-il ne décide que le 29 un embarquement par Dunkerque et criera comme un putois jusqu'à sa mort que les Anglais ont saboté son "plan" en le décidant trop tôt;
-il masse le long de l'Aisne et de la Somme toutes les troupes possibles, y compris coloniales (les mouvements AFN-métropole ne cesseront que le 10 juin, ne s'inverseront que vers la mi-juin et ne concerneront que la marine et l'aviation !);
-il ment aux Anglais le 23 mai en prétendant avoir repris Amiens, Albert et Péronne;
-il envoie Reynaud à Londres le 26 mai "exposer nos difficultés", autrement dit pousser l'Angleterre elle-même à l'armistice et miner la position de Churchill;
-il prend ouvertement parti le 29 mai, en refusant l'idée reynaldienne d'un réduit breton, pour un armistice dès que la ligne Somme-Aisne sera percée (et dès le 26 il avait pris fait et cause contre le projet de replier le gouvernement à Bordeaux, qu'il avait avalisé la veille en comité de guerre);
-Reynaud lui demandant tout de même une étude sur le réduit, il ne la fait pas;
-ayant interdit tout repli sur la Somme, il voudrait sanctionner Frère qui le 6 au soir, après avoir constaté que son armée s'était magnifiquement battue et ne méritait pas la captivité, en avait ordonné un; il faut une colère de Besson au cours d'une réunion dramatique, le 7, pour le faire céder;
-il va faire un numéro bien connu au conseil des ministres le 12 et le 13, inventant notamment un soulèvement communiste à Paris;
-il invoque le 14 une distinction absurde entre armistice et capitulation;
-il est fortement soupçonnable (même s'il le nie) d'avoir dit qu'après l'armistice français l'Angleterre aurait "dans les deux semaines le cou tordu comme un poulet";
-il laisse encore Darlan se bagarrer seul -et vainement- pour améliorer les conditions allemandes d'armistice dans la nuit du 21 au 22 juin;
-il commet le 29 une note très "révolution nationale" ou encore "ordre moral" à la Thiers, contenant le programme génétique intérieur de Vichy;
-il envisage une riposte commune avec l'Italie après Mers el-Kébir.
C'est beaucoup, non ? Il n'est, à ce stade, pas du tout neutraliste. Et s'il le devient à partir de la fin de juillet avec son slogan "l'armistice, rien que l'armistice", c'est comme les carabiniers de la chanson. Il ne peut plus incarner que l'aile patriote, putativement revancharde, d'un Vichy englué, dont il ne songe pas à secouer le joug. |