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Edition du 09 mars 2015 à 09h30

Darlan / Bernard Costagliola

En réponse à
-1Critique de la recension de M. F. Delpla de Bernard Costagliola

Bonne pioche, décidément ! de françois delpla le lundi 09 mars 2015 à 06h18

"une correspondance amicale et stimulante sur une période qui nous tient à cœur"


Il se trouve justement que je nourrissais cette correspondance pendant que vous postiez cela.

Permettez-moi à titre d'introduction d'extraire ceci de mon message de 18h 46 :

"Je pars du fait (remarqué pour la première fois par John Lukacs en 1990 et encore trop ignoré) que Hitler voulait écraser la France tout en ménageant l'Angleterre et rétablir la paix en mai ou juin 1940, ce qui l'aurait mis en position excellente pour croquer Staline
tôt ou tard, en une ou plusieurs fois, et qu'il a échoué, mais d'un cheveu (les chances du renversement de Churchill au profit de Halifax en mai-juillet 40 restent gravement sous-estimées); il ne voulait donc pas occuper la France; il la surprend et la ligote par l'armistice, fait tout pour l'affaiblir matériellement et surtout moralement, mais se doit de doser au plus juste les promesses et les menaces pour qu'elle reste en léthargie alors que son camp est en train de gagner la guerre, et y réussit jusqu'en août 44 -ce qui est à bien y réfléchir une de ses performances les plus étonnantes : il ne pouvait qu'y veiller lui-même et en causer souvent non seulement avec Ribbentrop et Abetz mais avec Keitel, Himmler et Göring pour qu'ils actionnent leurs subordonnés dans le sens voulu.

Ce qui complique les choses, c'est qu'il ne les disait pas toujours clairement, et manipulait ses collaborateurs autant que ses adversaires; ainsi Abetz était-il peut-être sincère quand il disait que la situation était mûre pour un traité, début 42; mais il ne trompait certainement ni Ribbentrop, ni Hitler.
"


Nous avons donc un désaccord sur le sens du mot "subordination", appliqué aux rapports Hitler-Abetz. Cela signifie pour moi qu'il est avant tout un instrument, notamment quand il dit à des Français qu'il a une politique personnelle, francophile bien entendu... mais que c'est le Führer qui décide et que pour le "mettre en confiance" il doit lui présenter un Laval ou un Darlan absolument dociles !

Vous avez plutôt l'air de penser que cette subordination consiste à ce qu'Abetz se fasse taper sur les doigts chaque fois qu'il s'approche du pot de confiture... soi-disant pour en donner un peu à la France.

Voilà qui m'amène à dire un mot sur Paxton, chez qui vous avez peut-être puisé la vision qui précède. Il a beaucoup de mérites, notamment celui d'avoir contribué (avec Jäckel et Henri Michel, comme il l'a souvent déclaré lui-même) à débloquer les études sur Vichy en montrant que ce régime se ruait à la collaboration. Pour autant, il ne faut pas dire que Hitler a cessé une minute de mener le jeu. La grande erreur de Paxton a été d'affirmer (souvent et, à ma connaissance, jusqu'aujourd'hui) qu'Abetz essayait de le convaincre des mérites de la collaboration et que cela ne l'intéressait pas.

Nous avons été quelques-uns dans les dernières années du siècle précédent à prendre un nouveau chemin, en nous démarquant ouvertement de Paxton ou non. Philippe Burrin a été le premier, en 1995, dans La France à l'heure allemande, à lire correctement la conversation de Montoire et à écrire que Pétain était venu proposer, sous le nom de collaboration, un effort militaire contre l'AEF passée à de Gaulle. Je l'ai suivi quelques mois plus tard dans mon livre sur Montoire (première et toujours unique étude centrée sur ce sujet) en regardant d'un oeil nouveau et la Révolution nationale, et le premier statut des Juifs, deux façons, dans les semaines et les jours précédents, de placer sous de bons auspices cette rencontre espérée et mendiée. Mais j'ai aussi, dans le même livre, fait plus que subodorer le rôle actif d'Abetz dans sa préparation, sur lequel Barbara Lambauer a apporté force précisions dans sa thèse, publiée en 2001 sous le titre Otto Abetz et les Français, 1930-1958.

L'histoire est une science et de ses chercheurs, comme dans toute autre discipline, on est en droit d'attendre qu'ils trouvent, qu'ils n'aient pas froid aux yeux pour constater leurs propres découvertes, qu'en les exposant ils ne ménagent pas, sinon dans la forme, leurs aînés qui ont dit le contraire et qu'ils ne se laissent pas arrêter par les criailleries réactionnaires, qui font partie intégrante du jeu. Mais en même temps l'histoire est la science la plus difficile de toutes, puisqu'elle porte sur un objet infini : la totalité du temps et de l'espace, et des ensembles humains dans lesquels le plus humble exécutant a son importance. L'historien doit se tailler là lui-même son propre objet, en une démarche qui comporte nécessairement une part d'arbitraire. Et il ne peut jamais, si restreint que soit cet objet, tout vérifier par lui-même : ses devanciers, il est bien obligé de leur faire confiance sur beaucoup de points, contigus de son propre domaine. Il ne peut pas non plus tout révolutionner à la fois.

La "révolution paxtonienne" a engendré un grand nombre de recherches sur Vichy, surtout en France. La plupart souffrent du défaut d'être "franco-françaises", c'est-à-dire de rejeter à la périphérie le jeu allemand, qui pourtant est central. Vous-même approfondissez un sillon, celui de l'attitude collaboratrice de Darlan, et pourfendez avec une saine ardeur le travail de Coutau-Bégarie... que Paxton lui-même avait certes critiqué, mais insuffisamment. Surtout, vous battez en brèche une idée presque universelle, celle de la recherche, par Vichy, d'une position de neutralité, en montrant que Darlan, qui malgré le retour de Laval reste commandant en chef et dauphin de Pétain,recherchait encore, un jour et demi après avoir été surpris à Alger par le débarquement allié, une formule de collaboration avec l'Allemagne.

De mon côté, je concentre de plus en plus mon attention sur Hitler et ses manigances, dont l'inventaire débute à peine en raison notamment de la prégnance, depuis des décennies, d'une démarche erronée appelée "fonctionnalisme".

Comme je le disais à Etienne Lorenceau il y a quelques jours, je crois que nous creusons la montagne l'un vers l'autre !

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