Bonjour,
Bien que la législation antisémite soit frappée de nullité notamment par l'ordonnance du 9 août 1945 portant rétablissement de la légalité républicaine, elle n'en continue pas moins de connaître une certaine application. Routine, continuité administrative ou enracinement de quatre années d'antisémitisme ?
Nombre de Juifs condamnés par défaut pour infraction à la législation antisémite sous Vichy, se sont vu signifier leur condamnation des mois après l'abolition de la législation les ayant fait condamner. Ils sont poursuivis pour ne pas avoir signalé leur changement de domicile alors qu'ils étaient traqués par la police des Juifs; d'autres par défaut pour ne pas avoir renouvelé leur carte d'identité. La police et la justice ne sont pas les seules à continuer à appliquer la législation antisémite après la Libération. L'administration des Finances poursuit les Juifs pour le recouvrement des amendes alors que la majorité de ceux qui ont survécu, ont tout perdu lors de leurs fuites ou de leur déportation : biens abandonnés et pillés, aryanisation ....
Ce zèle à poursuivre les Juifs fait réagir Emile Terroine, nommé administrateur-séquestre du CGQJ (Commissariat général aux questions juives) qui adresse au procureur de Lyon le courrier suivant :
***** Mon attention a été attirée par nombre de mes visiteurs sur la situation très délicate qui leur est actuellement faite.
Comme vous le savez, bon nombre d'Israélites ont été obligés, pour échapper aux atteintes de la Gestapo, CAD à la déportation et même à la fusillade, de se constituer une identité entièrement fausse. Tous n'ont pas encore eu le temps ou la possibilité, de par l'éloignement de leur domicile ou de l'endroit où sont leurs véritables pièces d'état civil, de reconstituer leur véritable identité et de posséder les documents qui en témoignent. Or certains d'entre eux m'informent qu'ils sont actuellement poursuivis et on me signale même un cas d'incarcération à cause de la possession de fausses pièces, possession qu'ils reconnaissent et signalent eux-mêmes, d'ailleurs, lors des contrôles d'identité.
Je suis absolument certain que vous estimerez sans aucun doute comme moi qu'il y a de la part de ceux qui engagent les poursuites, un excès de zèle et que le temps nécessaire doit être donné aux Israélites pour se mettre en règle.
Convaincu que vous voudrez bien donner des indications au personnel placé sous vos ordres je vous prie (...) [1] *****
S'agit-il d'une routine administrative ou d'une persistance de l'enracinement de l'antisémitisme. Selon un sondage réalisé en 1947, à la question
Les juifs sont-ils des Français comme les autres ? seulement 37% donnent une réponse positive contre 43% une réponse négative, 20% ne se prononcent pas. [2]
Bien cordialement,
Francis.
[1] Tal Bruttmann,
Au bureau des affaires juives - L'administration française et l'application de la législation antisémite, éditions La Découverte, 2006, p.194
[2] Michel Winock,
La France et les Juifs, éditions du Seuil, 2004, p.286.