Bonsoir,
Lucien Bodard - que ses collègues et ses amis n'avaient pas surnommé Lulu le Chinois pour rien - fut l'un des premiers grands reporters à tenter d'expliquer à ses compatriotes la particularité du marxisme dans ses versions chinoises et indochinoises. Pour dire vite, car il faudrait que je retrouve les intuitions parfois fulgurantes de Bodard dans ses articles : à un rapport au Temps hérité des préceptes du confusianisme et donc très différent de celui perçu et vécu par les officiers du Corps expéditionnaire, les chefs communistes mêlaient toute la rigueur glacée et implacable de la dialectique marxiste. Le résultat fut cette violence, cette brutalité calculée de Giap et de ses adjoints dans une guerre de libération totale qu'ils avaient estimée longue et dure. (Les commandants français furent aussi très brutaux, mais d'une brutalité réactive, nerveuse et désordonnée, à court terme)
Derrière la "face" souriante de Giap travaille un esprit brillant, celui du tacticien froid qui , pour parvenir à son but ultime - la victoire sur les Français - pensera "sa" guerre en années, voire en dizaines d'années et s'il le faut, sacrifiera la moitié des habitants du Vietnam pour gagner et établir la société communiste. Giap sera intellectuellement prêt et n'hésitera pas à faire tuer au travail des villages entiers pour faire passer ses bataillons et son artillerie comme lors des préparatifs pour la bataille de Dien Bien Phu.
Durant les années 66 - 78, Lucien Bodard fut considéré selon ses propres termes comme un affreux vieux "fagot réactionnaire" par l'extrême gauche intellectuelle française pro-chinoise... avant d'être reconnu comme un bon "récepteur-interprète" du mode de pensée des cadres communistes chinois et vietnamiens, au début des années 80 dans un de ses retournements médiatiques dont est coutumière cette curieuse micro-société très parisienne.
Bien cordialement,
René Claude |