Dans l’esprit des nouvelles autorités [...] un rétablissement du décret Crémieux pourrait provoquer des troubles chez les indigènes musulmans et susciter l’exaspération de la majorité européenne restée vichyste et sur laquelle veut s’appuyer Giraud. Afin d’éviter les polémiques, Giraud confirme l’abrogation du décret en Mars 43, mesure qui ne manque pas de susciter un tollé de la part des responsables de la communauté juive, lesquels n’auront de cesse de se voir rétablis dans leur citoyenneté française et dans leurs droits. [...] Le plus simple à leurs yeux était donc de rétablir le décret Crémieux et d’abroger la législation de Vichy. Décision que ni Giraud, ni De Gaulle, lorsqu’il arrive au pouvoir en mai 43, ne se résoudront à prendre. [...]
Il faudra des centaines de pétitions pour que le 22 octobre 1943, un an après le débarquement anglo-américain, le décret Crémieux soit rétabli et que les juifs d’Algérie redeviennent Français.[...]
La satisfaction est générale, mais la blessure reste profonde, comme en témoigne, encore une fois, Jacques Derrida : « C’est une expérience qui ne laisse rien intact, un air qu’on ne cesse plus jamais de respirer. Les enfants juifs sont expulsés de l’école. Bureau du surveillant général : tu vas rentrer chez toi, tes parents t’expliqueront. Puis les Alliés débarquent, c’est la période du gouvernement bicéphale (de Gaulle-Giraud) : les lois raciales maintenues près de six mois, sous un gouvernement français "libre". Les copains qui ne vous connaissent plus, les injures, le lycée avec les enseignants expulsés sans un murmure de protestation de collègues. On m’y inscrit, mais je sèche pendant un an. [...] Avec d’autres, j’ai perdu puis recouvré la citoyenneté française, je l’ai perdue pendant des années sans en avoir d’autre. Pas la moindre, vois-tu. [...] Une citoyenneté, par essence, ça ne pousse pas comme ça, c’est pas naturel, mais son artifice et sa précarité apparaissent mieux, comme dans l’éclair d’une relation privilégiée, lorsque la citoyenneté s’inscrit dans la mémoire d’une acquisition récente : par exemple la citoyenneté française accordée aux juifs d’Algérie par le décret Crémieux en 1870. Ou encore dans la mémoire traumatique d’une "dégradation", d’une perte de la citoyenneté. » [6]
Benjamin Stora
Notes
[RM] Hassan Remaoun et Gilles Manceron, D’une rive à l’autre - La guerre d’Algérie, de la mémoire à l’histoire, 1993, éd Syros.
[S] Benjamin Stora, Les trois exils. Juifs d’Algérie », sept. 2006, éd. Stock.. L’ouvrage de Benjamin Stora est présenté sur ce site : « les trois exils - Juifs d’Algérie » de Benjamin Stora.
[1] Marcel Peyrouton a été secrétaire général du Gouvernement général à Alger avant de devenir résident en Tunisie, puis au Maroc. Il expliquait la nécessaire abrogation du décret Crémieux par « l’antijudaïsme instinctif des musulmans. », donc par la nécessité de réparer une injustice à leur égard.
[2] Sur la chronologie de cette période décisive, voir Henri Mselatti, Les Juifs d’Algérie sous le régime de Vichy, Paris, éd l’Harmattan, 1999, 302 pages.
[3] Eugène Guernier (dir.), Encyclopédie coloniale et maritime, tome second, « Les villes, marchés de l’intérieur. Constantine », Paris, Éd. de l’Encyclopédie de l’Empire français, 1948.
[4] Charles-Robert Ageron, De l’Algérie française à l’Algérie algérienne, op. cit., p. 426. Le général Giraud n’était pas un cas à part dans l’armée d’Afrique qui comptait un grand nombre d’antisémites ouvertement déclarés.
[5] Cet argument est répété sans cesse par les Européens depuis la promulgation du décret Crémieux et ce, dès l’origine. L’insurrection de 1871 en Kabylie est ainsi expliquée comme une réaction musulmane au décret Crémieux.
[6] Jacques Derrida, La Contre-Allée, avec Catherine Malabou, Paris, La Quinzaine littéraire 1999, p. 87-88.
Pour Jacques si eventuellement vous n avez pas pris connaissance que ni Giraud, ni De Gaulle n ont retabli immediatement le Decret CREMIEUX des leur installation au pouvoir dans La France Libre.
Gozlan Lucien |