Pétain, la France libre vus par Michel Boisbouvier... - Histoire élémentaire de Vichy - forum "Livres de guerre"
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Edition du 27 mars 2013 à 21h55

Histoire élémentaire de Vichy / Amiral Auphan

En réponse à -6 -5 -4 -3 -2
-1Pétain et la France Libre de Boisbouvier

Pétain, la France libre vus par Michel Boisbouvier... de Nicolas Bernard le samedi 27 février 2010 à 21h01

> 3/ Le "Je n'ai pas reçu ce télégramme" du printemps 41.
> Il aurait pu intercepter l'avion transportant De Gaulle
> au Caire.

L'ex-anonyme recycle une rumeur sortie d'on ne sait où - peut-être Pétain en est-il lui-même l'auteur, puisqu'il confiera cette vantardise alors qu'il purge sa peine de réclusion à perpétuité, et ce à son aumônier, le chanoine Potevin (sic), lequel va à son tour diffuser l'information, non sans avoir consulté au préalable le fan-club du Maréchal. De fil en aiguille, l'affaire connaîtra une petite médiatisation grâce à Raymond Tournoux, qui l'évoquera publiquement en 1964 dans son Pétain et De Gaulle (éd. Plon, et Presses-Pocket, 1968, p. 257-258). Tournoux, toutefois, n'apportera aucune preuve de cette allégation, se bornant à citer, en tout et pour tout, le Maréchal lui-même.

A en croire ce dernier, un haut-responsable britannique l'aurait contacté (quand ? on ne sait) et lui aurait délivré le message suivant : "De Gaulle nous embête. Il se prend pour Jeanne d'Arc. Eh bien ! Nous allons le brûler. Nul besoin d'un bûcher comme en 1431. Il nous suffira d'indiquer au gouvernement de Vichy le jour et l'heure de son prochain voyage par avion dans le Proche-Orient, de fournir le plan de vol..." (ibid.)

A quoi Pétain aurait répliqué, en présence du messager : "Je n'ai pas reçu votre communication. Je ne veux rien faire contre l'honneur. Que les Anglais se débrouillent avec De Gaulle !" (ibid.)

Le caractère pour le moins ridicule de cette anecdote n'a pas empêché les thuriféraires vichystes - incluant l'ex-anonyme - de la brandir à l'appui de l'inepte théorie du double-jeu pétainiste, parfois en la datant de février 1941, parfois en prétendant que l'auteur du message adressé au Maréchal n'était autre que... Churchill. De Gaulle lui-même a réfuté cette allégation, précisant à son gendre, Alain de Boissieu, que les vols effectués par les V.I.P. à bord des avions de la R.A.F. obéissaient à de strictes consignes de secret et discrétion poussées à l'extrême, outre qu'"il n'avait jamais survolé la France pour aller directement de Londres au Caire. L'appareil passait par Gibraltar et l'Afrique centrale. On évitait ainsi les territoires français, vichystes ou occupés, et l'on rendait impossible toute interception par l'aviation allemande ou italienne." (Herbert Lottman, De Gaulle/Pétain. Règlements de comptes, Perrin, 2008, p. 136)

En toute hypothèse, Pétain, en ce printemps 1941, s'en est violemment pris à la France libre, comme le prouve l'une de ses allocutions radiophoniques en date du 7 avril 1941 : "La dissidence est née en juin 1940 du sursaut des Français d'outre-mer qui les poussait à poursuivre la lutte, du sentiment que la France ne saurait, sur son propre sol, entreprendre l'oeuvre de redressement nécessaire. A cette première erreur mise à profit par les chefs de la dissidence se sont bien vite joints la volonté d'exploiter le désarroi des Français d'outre-mer, l'espoir de dresser le pays par un constant appel à l'indiscipline contre l'effort de relèvement national..." (cité in Lottman, op. cit., p. 137) Une note adressée à la presse trois jours plus tard et évoquant "l'ex-général De Gaulle" précisait : "En condamnant la dissidence, c'est toute l'agitation "gaulliste" que le Maréchal a voulu viser expressément." (ibid.)





> 4/ L'admonestation : "J'interdis qu'on dise devant moi
> que De Gaulle est un traitre. De Gaulle est un
> orgueilleux. Ce n'est pas la même chose".

Auteur, titre, édition et PAGE. En l'absence de chacune de ces indications, cette citation est irrecevable.

Il est pour le moins aberrant de considérer que Pétain n'assimilait pas De Gaulle à un traître. Le Tribunal militaire de Toulouse l'avait déjà condamné le 4 juillet 1940 à une peine de quatre ans d'emprisonnement et... 100 Francs d'amende pour refus de soumission et appel à la désobéissance. Ce n'était pas assez pour Pétain, qui a ordonné au Ministère de la Guerre de relancer une nouvelle procédure contre De Gaulle, sur les chefs de "trahison, atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat en temps de guerre et désertion à l'étranger en temps de guerre" : le jugement rendu le 2 août 1940 par le Tribunal militaire de Clermont-Ferrand, répondant aux instructions reçues, allait donc consister en une condamnation à mort d'un individu qui avait été déchu de son grade et de la nationalité française (sur tous ces points, voir Lottman, op. cit., p. 109-111 et, de manière plus détaillée, Louis Noguères, Le véritable procès du Maréchal Pétain, Fayard, 1955, p. 604-606).

Par la suite, Pétain ne va cesser de ruminer contre De Gaulle et la "dissidence", allant jusqu'à proposer à Hitler, à Montoire, de reconquérir les territoires de l'Afrique équatoriale française libérés par les gaullistes (Delpla, op. cit., p. 268-270). Cette hostilité, Pétain ne la dissimulera pas davantage aux diplomates américains en poste à Vichy, comme en témoigne cet extrait du rapport de l'amiral Leahy, ambassadeur américain à Vichy, au Président Roosevelt du 19 mars 1941 : "Le Maréchal m'a parlé hier en détail du mouvement gaulliste, où il voit une menace d'un "groupe de traîtres" contre son gouvernement. Ils complotent de lancer une attaque contre l'Afrique du Nord ou la Syrie, dit-il, qui pourrait amener les troupes coloniales loyales à se battre contre les Britanniques. Ils proclament aussi, dans la zone occupée, qu'ils ont l'approbation secrète du Maréchal. Cela lui cause des difficultés avec les Allemands." (cité in Amiral William D. Leahy, J'étais là, Plon, 1950, p. 536)

Quelques mois plus tard, toujours en présence de Leahy, Pétain qualifiera De Gaulle de "vipère qu'il avait réchauffé dans son sein", ajoutant : "Veuillez dire au Président [Roosevelt] que, tant que les Britanniques tolèreront De Gaulle et ses activités, il ne pourra y avoir d'amélioration de la compréhension entre eux et nous", sachant que lui et l'amiral Darlan se lamentaient des allocutions hostiles à Vichy que débitait la B.B.C. (Lottman, op. cit., p. 141-143).

Un projet de discours datant d'avril 1942, totalement rédigé par Pétain lui-même, et qui ne sera finalement pas diffusé sur les ondes, se révélait encore plus haineux. Pétain comptait notamment déclarer (ibid., p. 145-148 - voir également Noguères, op. cit., p. 607-615) : "Les nouvelles qui m'arrivent de l'extérieur signalent un mal qui se répand dans nos possessions d'outre-mer et agit sur les foules comme un poison subtil qui tend à leur faire perdre le sens du réel et à les détourner de leurs devoirs envers la mère-patrie. Ce mal s'appelle le gaullisme, du nom de l'ex-général français De Gaulle. [...] De Gaulle n'en veut qu'aux Français et ne se bat que contre des Français."

Dans ce projet, Pétain concluait ainsi : "Pour donner du crédit en faveur de la propagande de De Gaulle, on n'a pas hésité à proclamer mon accord avec lui pour l'exécution d'un plan commun d'action. On est allé jusqu'à affirmer qu'il existait entre lui et moi des liens de famille. Autant de propos qui n'ont aucune portée et qui..." (le texte s'achevait ici)

Ce projet de discours, retrouvé dans les documents d'une des éminences grises de Pétain, le Dr. Ménétrel, et effectivement écrit de la main du Maréchal, a été produit au procès de ce dernier, le 4 août 1945 (Compte-rendu in extenso des audiences du procès du Maréchal Pétain, Imprimerie nationale, 1945, p. 222), provoquant quelques remous. La défense se mélangera totalement les pinceaux, prétendant d'abord que ce projet n'avait pas été lu intégralement par le Procureur Mornet (ce qui était faux), puis qu'il n'avait pas été prononcé, le bâtonnier Payen allant jusqu'à sombrer dans le ridicule : "La tentation n'a jamais été un crime : serait-on poursuivi pour avoir éprouvé une tentation ? On peut avoir une tentation, mais si on n'y succombe pas ?" (ibid.)

De 1942 à 1944, Pétain ne cessera de conspuer la "dissidence gaulliste", aussi bien auprès des Allemands que par allocutions publiques (cf. Noguères, op. cit., p. 615-618).




> 5/ L'attitude générale de Pétain vis à vis de De Gaulle
> en 44, et ensuite. Sa déclaration à son procès. Son
> regret de ses échecs politiques tant en 46 qu'en 47 avec
> le RPF.

Ben tiens. Ces propos de Pétain sont effectivement authentiques, mais ne révèlent en rien une admiration pour De Gaulle. Pétain, en prison, s'est en effet bercé de fausses illusions, notamment persuadé on ne sait pourquoi que De Gaulle finirait par le faire libérer (Lottman, op. cit., p. 212-221). Le 29 avril 1947, il admettait : "C'est vrai, j'ai fait une maladresse, je n'aurai jamais du permettre que l'on condamne à mort De Gaulle. Et pourtant je suis persuadé que, si De Gaulle reprenait le pouvoir, il me ferait liberer ; dans tous ses écrits, il n'a jamais parlé de moi qu'en bien" (ibid., p. 219) Il ressassait également les occasions manquées de son propre règne de 1940-1944, regrettant de ne pas être parti en Afrique du Nord en novembre 1942 (ibid., p. 218). Le 22 septembre 1947, il confie ainsi à son geôlier, Simon : "Si De Gaulle me fait libérer, j'oublierai tout le mal qu'il m'a fait" (ibid., p. 219).

Mais rien ne vient, De Gaulle ne parvenant pas à reprendre le pouvoir, et Pétain s'impatiente, puisque le 1er novembre 1947, il geint : "C'est de sa faute si je suis là, ma condamnation est l'oeuvre de De Gaulle et de Mornet. Il se venge et le fait sciemment. Il m'a abandonné pour faire plaisir aux communistes. Il n'a pas à être fier de son travail, mais j'oublierai le mal qu'il m'a fait s'il me fait libérer" (ibid.). Ce fantasme s'accompagnait d'une crainte bien plus pragmatique : Pétain espérait une prise du pouvoir gaulliste pour faire barrage aux communistes, qui risquaient d'aggraver les conditions de sa détention (ibid., p. 214).

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