En réponse à Boisbouvier
Sur le problème de l'au-to-ma-ti-cité de l'obéissance de la police d'un pays occupé à la puissance occupante.
qui écrit :
Vous avez rétorqué par une lettre d'un magistrat belge qui s'est opposé à une réquisition allemande de gendarmes belges sur la base des conventions de La Haye, lettre qui aurait eu un certain effet sur la gendarmerie, à défaut d'en avoir eu un sur la police.
A cela je réponds deux choses.
Premièrement, il n'y avait pas de Dannecker en Belgique à exciter Falkenhausen comme il excita en France Stulpnagel pour en obtenir fichages, arrestations, internements, déportations.
La personnalité de Falkenhausen n'est pas aussi flatteuse que celle qu'il tenta d'imposer lors de ses procès après la Libération.
Sur la lettre de protestation des hauts magistrats belges, il nota en marge :
Ils n'ont pas la moindre idée de ce que nous avons été encore beaucoup trop doux.
Boisbouvier:
Mais surtout,c'est oublier que cette protestation du magistrat belge fut dépourvue d'effets et que personne n'ose prétendre à part vous qu'il n'y eut ni fichage, ni arrestations, ni internements, ni déportations en Belgique ou dans quelque autre pays occupé par l'Allemagne, ni que les polices de ces pays n'y participèrent.
Le débat porte sur l'au-to-ma-ti-ci-té de l'obéissance à la puissante occupante et non sur la complicité d'une frange des autorités belges dans les crimes des nazis. Il n'est donc pas question ici d'exonérer le crimes des uns en les comparant aux crimes des autres.
Police et gendarmerie obéissaient à leurs autorités de tutelle qui, le cas échéant, s'adressaient aux Secrétaires généraux. Ce qui n'empêchera qu'à diverses reprises, par exemple, des bourgmestres pro-nazis et/ou collaborationnistes ont réquisitionné la police municipale et même des brigades de gendarmerie locale pour prêter main-forte aux Allemands. Mais, revenons à l'automaticité si chère à Boisbouvier !
Un autre exemple de la non-automaticité de l'obéissance ! Lorsque le 6 mars 1942, les autorités allemandes décrètent le travail obligatoire, elles font appel non seulement aux forces de l'ordre allemandes mais aussi aux services de police belge. Le lieutenant-colonel Boutte, faisant fonction de commandant de la gendarmerie, fait savoir au Secrétaire général de l'Intérieur qu'il a des
objections de conscience.
- A Courtrai, par exemple, le Procureur du roi déclare publiquement que la réquisition de la gendarmerie pour l'arrestation des réfractaires est illégale, puisque aucune loi belge ne la justifie.
- A Anvers, le Procureur du roi publie une instruction dans laquelle il explique clairement que suivant l'article 115 du code pénal belge, la coopération éventuelle des services de police belge au transport forcé de travailleurs belges vers l'étranger est un crime punissable de la peine de mort. Les mêmes réserves sont de rigueur en ce qui concerne les arrestations illégales et les perquisitions arbitraires, considérées comme délits, conformément aux articles 147 et 148 du même code. En outre, on ne peut perdre de vue que ces peines sont applicables, non seulement aux coauteurs et à leurs complices. Il est, dès lors explicitement conseillé à tout fonctionnaire de s'abstenir de pareils actes.
A la suite de ces nombreuses protestations, dans un premier temps, la
Militärverwaltung informe les autorités belges que l'ordre de réquisitions des forces de l'ordre belge est une erreur et qu'elle n'a jamais eu l'intention de charger les services de police belges de l'exécution de l'ordonnance du 6 octobre 1942. Elle se ravisera en septembre 1943 en stipulant que les dispositions de l'ordonnance doivent être appliquées intégralement et sans discussion. Le Secrétaire général de la Justice refusera d'appliquer l'ordonnance arguant à nouveau qu'elle est contraire à la loi belge. Plusieurs commissaires et commandants de brigade refusant d'exécuter les ordres allemands seront arrêtés. Le Secrétaire général lui-même sera démis de ses fonctions.
Voyant que ses tentatives de collaboration n'obtiennent pas le résultat escompté, la
Militärverwaltung décidera, début 1944, de renoncer définitivement à la collaboration des services de police belges.
Francis.
Sources:
- Betty Garfinkels,
Les Belges face à la persécution raciale 1940-1944, Centre national des hautes études juives, éditions de l'Institut de Sociologie de l'Université Libre de Bruxelles, 1965.
- Willy Van Geet,
La gendarmerie sous l'occupation, éditions J.M. Collet, 1992.