L'espionnage; partie 2/4 - La Suisse et la guerre 1933 - 1945 - forum "Livres de guerre"
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Edition du 16 juillet 2008 à 13h39

La Suisse et la guerre 1933 - 1945 / Werner Rings

En réponse à
-1L'espionnage; partie 1/4 de Christian Favre

L'espionnage; partie 2/4 de Christian Favre le mercredi 16 juillet 2008 à 07h20

Werner Rings; Espionnage Partie 2/4

La ligne Wiking

Le terminal suisse de cette ligne mystérieuse était à Bâle, au poste extérieur appelé «Pfalz»)du centre collecteur d'informations 1 (NS 1) du service des renseignements de l'armée suisse. L'autre extrémité était en Allemagne, au quartier général du Führer. Le chef du poste «Pfalz» était Emil Hâberli, qui, comme procureur de l'Etat, avait conduit en 1935 les recherches de police contre Wesemann et les autres ravisseurs de Berthold Jacob .Il y a lieu de relater ici comment cette ligne était née.
Au printemps 1940, Hâberli reçut la visite d'un commerçant bâlois qu'il connaissait comme un homme sérieux et sûr. Ce commerçant lui déclara avoir entendu dire qu'il était en relation avec le service des renseignements de l'armée. Il désirait l'informer qu'il avait appris de bonne source qu'Hitler avait décidé d'attaquer le Danemark et la Norvège le 6 avril 1940. Häberli transmit l'infor¬mation à NS1 («Rigi»), qui la fit passer au «bureau D» (bureau «Allemagne») du commandement de l'armée.
Une agression allemande contre le Danemark et la Norvège était hautement improbable tant que la puissante flotte britannique patrouillait dans les mers. Aussi l'information du commerçant bâlois fut-elle accueillie avec le plus grand scepticisme. Il n'était pas rare que des nouvelles fantaisistes tombent sur les tables du «bureau D».
Et pourtant, la nouvelle incroyable était vraie. La Wehrmacht attaqua le jour dit les deux pays scandinaves, trois bonnes semaines après la visite du Bâlois, qui devait désormais jouer el rôle d'intermédiaire.
Une nouvelle ligne était née.
On l'appela «ligne Wiking» parce que son origine était liée à l'offensive déclenchée par l'Allemagne contre des pays nordiques. Elle se révéla bonne. Elle annonça avec la même précision, en général avec une â deux semaines d'avance, le début des offensives allemandes à l'ouest, dans les Balkans et contre l'Union soviétique.
Plus tard, Häberli découvrit que la «ligne Wiking» le reliait directement avec un groupe d'officiers du quartier général d'Hitler qui passaient pourtant pour des nationaux-socialistes extrêmement sûrs.
Devant eux, devant ces soutiens fidèles du haut-commandement, un proche collaborateur du Führer s'exprimait souvent, en toute confiance, sur les plans les plus secrets que le commandant en chef était en train de préparer, faisait examiner ou avait décidé de mettre à exécution. Lorsqu'il s'agissait de décisions ou de faits qui pouvaient être importants pour l'évolution de la guerre, ces officiers trouvaient le moyen de faire parvenir une information à Bâle par une voie inconnue. La priorité était donnée aux renseignements touchant la Suisse.
La conduite de ces gens était dictée par l'idée que la Suisse, un pays libre au milieu du continent européen, devait savoir ce qu'Hitler projetait. Mais pour cela, ils risquaient leur tête.
La ligne fonctionnait sans le concours de quelque espion professionnel, de quelque agent soudoyé. Personne ne payait, personne ne recevait un centime.
Il y avait là, certainement, un des atouts, un des secrets du succès du service des renseignements, qui, il est vrai, devait faire sa part en triant, en analysant les innombrables informations, souvent contradictoires, qu'il se procurait ou qui lui parvenaient par les lignes
des résistants allemands ou d'autres groupes ou agents. Il devait les confronter avec les renseignements donnés par des déserteurs étrangers, des voyageurs, des réfugiés ou des Suisses rapatriés. Ces informations devaient être pesées, analysées, interprétées, puis mises en oeuvre, condensées dans des «rapports sur la situation» établis avec clarté et raison. Il fallait aussi tenir compte des résultats des recherches en matière économico-militaire, des ex¬pertises techniques dans le domaine des armes, des analyses chimiques, de l'étude des cartes, de travaux au microscope et sur des appareils de radio.
La révélation de secrets sans qu'on en connaisse le contexte, sans interprétation par des gens compétents, était inutile. C'était la patience et un travail sérieux et non pas la chance et l'aventure, qui assuraient finalement le succès.

Les agents et les traîtres

Ce qui avait été au début une faiblesse honteuse se transforma par la suite en avantage. Parce que les ressources étaient maigres et que le nombre des collaborateurs était petit, l'appareil du service suisse des renseignements demeura relativement modeste, peu com¬pliqué, susceptible d'être embrassé d'un coup d'oeil. Cela était utile: des informations importantes ne pouvaient pas se perdre, des activités inefficaces n'étaient pas à craindre, la vue d'en¬semble n'était pas compromise.
La structure de l'appareil pouvait ainsi être simple.
Pour l'essentiel, le service des renseignements de l'armée était composé de trois «bureaux», le «bureau D», pour l'Allemagne, le «bureau F» pour la France, le «bureau I» pour l'Italie. Ces bureaux se trouvaient au comman¬dement de l'armée.
Pour se procurer des informations d'Allemagne (plus tard des puissances de l'Axe), le service entretenait un centre collecteur à Lucerne (Rigi), auquel étaient rattachés six postes extérieurs servant en même temps de têtes de «lignes». Ces bureaux s'appelaient Bernina (à Samedan), Nell (à Lugano), Pfalz (à Bâle), Salm (à Schaffhouse), Speer (à Saint-Gall) et Uto (à Zurich).
Pour l'information en provenance des territoires occupés à l'ouest, le service disposait également de postes situés dans les régions frontières (il y en avait, par exemple, 25 le long de la frontière française). C'est d'eux que quelque 1800 informateurs et agents dans la zone frontière française recevaient leurs ordres et à eux qu'ils communiquaient leurs nouvelles.
Ces informateurs et agents, dont l'effectif a de quoi surprendre, opéraient dans une zone d'environ 300 kilomètres de profondeur le long des frontières Nord et Ouest. Ils avaient pour mission de signaler les concentrations de troupes allemandes et les mouvements d'unités d'armée qui pouvaient être interprétés comme une menace pour la Suisse. Pour les tâches spéciales à accomplir dans ces régions, il fallait avoir recours, en général, à des «espions professionnels», à des agents salariés dont on pouvait penser qu'ils avaient certaines connaissances techniques.
Toute cette activité du service des renseignements avait un caractère défensif. Elle n'était au service d'aucune intention agressive, d'aucune action militaire contre un pays étranger. Il s'agissait uniquement de la défense de la Suisse.
Il était donc naturel que le chef du service suisse des renseignements, le colonel brigadier Roger Masson, eût égale¬ment sous ses ordres le service de contre-espionnage, rattaché administrativement au service de sécurité. Les buts des deux services étaient les mêmes, mais leurs champs d'activité étaient différents. Le service de contre-espion¬nage, dont nous avons déjà mentionné les succès, luttait contre l'espionnage étranger sous toutes ses formes.
Il avait surtout affaire, ici, à des agents du Troisième Reich, à un adversaire qui usait de procédés très raffinés, comme aussi de méthodes toutes simples, paraissant archaïques, mais qui n'avaient pas cessé de promettre le succès.
Un espion allemand avait créé, bien avant la guerre, un établissement mo¬derne de pisciculture et, en homme prévoyant, avait choisi pour cela un lieu situé dans une zone fortifiée de nature à intéresser le service secret de l'Allemagne.
Un marchand de bois allemand avait, déjà avant la guerre également, habitué les autorités suisses à le voir faire ses achats dans des régions qui présenteraient plus tard un très grand intérêt.
Et les formes romanesques de l'espionnage ne manquaient certes pas: pêheurs en apparence rêveurs, chercheurs de champignons, faux noms, faux passeports, émetteurs radio dissimulés sans des boîtes à cigares, encres sympathiques déguisées en parfum, en poudre contre les maux de tête, en liqueur ou en gouttes pour les yeux.
Mais il était beaucoup plus important de recruter des Suisses qui accepteraient de travailler contre leur pays et seraient pour lui des ennemis particulièrement dangereux parce que difficiles à dépister.
Avec le temps, ces Suisses prirent de plus en plus la place des espions alle¬mands tombés dans les filets du contre-espionnage. Plus celui-ci enregistrait de succès, plus l'Allemagne recrutait de Suisses. Pour finir, le nombre de ceux ¬ci qui pratiquaient l'espionnage contre leur pays dépassa celui des Allemands. Sur les 865 espions condamnés pendant la guerre, 523 étaient des ressortissants suisses. Pour quatre agents étrangers, il y avait six Suisses, surtout des frontistes, des hommes éprouvant de la sympathie pour le Troisième Reich ou disposés à faire n'importe quoi contre quelque argent.
Un exemple montre tout le mal qu'un seul Suisse au service d'une puissance étrangère était capable de faire. Il s'agit du cas de ce militaire qui indiqua à ses mandants allemands l'emplacement de positions d'artillerie, leur livra le plan d'un ouvrage fortifié, vola les clés des portes blindées des fortins d'un secteur tout entier et les remit à un agent allemand.
Une gratification de 20 francs permit d'apprendre d'un caporal l'emplacement d'un fortin et d'un menuisier le nombre des pièces de DCA concentrées dans un secteur ainsi que des détails sur la garde et la défense de la plus grande fabrique de munitions de la Suisse.
Le cas d'un autre Suisse qui avait communiqué aux Allemands des croquis et des copies de plans militaires mit le service de contre-espionnage sur la piste de 32 agents, également suisses. L'un de ceux-ci, portier d'un hôtel dans le réduit (forteresses alpines), vidait les corbeilles à papier dans les caves et les bureaux d'un état-major et livrait au service secret allemand les trouvailles intéressantes.
Les agents suisses fournissaient à leurs mandants à peu près tout ce qu'on attendaient d'eux: plans de situation, statistiques, noms de commandants, informations concernant des fortins et ouvrages minés, des places d'aviation, des barrages anti-chars, des dépôts d'essence et des plans de concentrations de troupes.
note cf: le chef du contre-espionnage suisse était le colonel vaudois Robert Jaquillard, il a écrit: "La chasse aux espions suisses"

La Suisse, centre d'informations

Point n'est besoin de mentionner d'autres exemples. L'exposé le plus complet serait bien loin d'épuiser le sujet de la trahison et celui de l'espionnage. Mais il existe un autre aspect qui mérite d'être signalé.
Située au centre de l'Europe, la Suisse était un terrain de chasse idéal pour les espions internationaux, une fenêtre donnant sur le champ voisin d'un belligérant, une plaque tournante pour les entreprises des services de renseignements et enfin un «marché» international pour le troc général d'informations secrètes. Les services suisses des renseignements et du contre-espionnage étaient débordés par la multitude des agents étrangers.
I1 n'y avait, effectivement, aucune organisation d'espionnage de quelque importance qui n'eût pas sa «représentation» en Suisse.
En sa qualité de «mandataire spécial du président Roosevelt pour les questions politiques européennes», le chef de l'«Office of Strategic Services» (OSS) en Europe centrale, Allen W. Dulles, avait pris ses quartiers à la légation des Etats-Unis à Berne. Là, dans la ville fédérale helvétique, il dirigeait le poste collecteur d'informations du service secret américain et donnait des ordres à des agents se trouvant en Allemagne, en France ou en Italie. Les informations qui lui parvenaient étaient chiffrées à Berne et transmises à Londres et Washington par la voie du télégraphe officiel ou apportées à leur lieu de destination par des courriers secrets.
Et il y avait les Chinois. Une des lignes principales de leur service de renseignements en Europe passait par le ministre de Chine à Berne. Chi Tsai-hoo. Le chef du service secret allemand Walter Schellenberg qui était en rapport avec lui crovait savoir que les agents du service secret d'Extrême-Orient avaient leurs entrées au Kremlin et à Downing Street. I1 y avait là échange d'informations recueillies en Suisse.
Du côté français, nous trouvons trois attachés à l'ambassade de France à Berne, qui faisaient partie du service des renseignements de de Gaulle à Londres, mais surtout l'ancien chef d'état-major du gouvernement militaire à Paris, Georges-A. Groussard, qui ne quittait que rarement son domicile à Genève, où il vivait sous le nom de code de «colonel Gilbert»; il était en relation constante avec le service secret à Londres et monta et dirigea un réseau s'étendant sur la moitié de l'Europe.
Zurich abritait, à la Bellerivestrasse, le bureau de l'attaché militaire japonais Okamoto, que les agents connaissaient bien et qui, comme son collègue Onodera à Stockholm, échangeait de précieuses informations avec d'autres services secrets. On prétend que certaines de ces informations avaient leur source au ministère britannique de la guerre mais lui parvenaient par le détour de Moscou.
A Genève et à Lausanne, une organisation d'espionnage soviétique, dont le chef s'était déjà établi en Suisse avant la guerre pour entrer en action sur ordre de Moscou, envoyait des infor¬mations au moyen d'émetteurs clandestins.
Mentionner encore d'autres services serait dénué d'intérêt. Ce qui compte davantage, ce sont les contacts latéraux qui constituaient l'élément vital de l'espionnage. C'étaient les contacts entre Hans Hausamann et le chef de l'OSS américain, Allen W. Dulles, qui se rencontraient régulièrement à Zurich pour des échanges de vues; entre Roessler et le service secret soviétique à Genève, assurés sous le couvert d'affaires d'édition et par un service privé dépendant de l'Union soviétique, entre Pünter et l'Intelligence Service britan¬nique et d'autres services secrets en Suisse; entre presque tous les services secrets entre eux, grands et petits. C'était un monde à part. Un monde où régnait le clair obscur, un monde d'ombres que personne ne pouvait scruter du regard, que personne ne pouvait brider. Le fichier central du service de contre-espionnage du haut¬commandement allemand (qui, cela va sans dire, ne concernait pas uniquement la Suisse) comprenait alors quelque 400000 noms de personnes et de services qui, une fois où l'autre, peut-être à leur insu, étaient entrés en rapport avec l'espionnage.

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