L'espionnage; partie 4/4 - La Suisse et la guerre 1933 - 1945 - forum "Livres de guerre"
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La Suisse et la guerre 1933 - 1945 / Werner Rings

En réponse à -3 -2
-1L'espionnage; partie 3/4 de Christian Favre

L'espionnage; partie 4/4 de Christian Favre le vendredi 18 juillet 2008 à 07h44

Werner Rings L'espionnage Partie 4/4

Le fouillis des activités secrètes

A la fin de septembre 1942, la situation était extraordinairement tendue. C'était l'époque de la grande offensive allemande contre Stalingrad. Et peu auparavant la Wehrmacht avait poussé jusqu'à la Volga. Le colosse russe chancelait. En Allemagne, le réseau d'espionnage soviétique «Rote Kapelle» venait d'être démantelé. Rado choisit ce moment-là pour faire demander très ouvertement à Roessler s'il serait disposé à partager avec Moscou ses connaissances phénoménales.
Roessler, qui, jusqu'alors, n'avait transmis ses informations qu'au «bureau Ha» et, par cette voie, au commandement de l'armée suisse, accepta.
Il n'avait pas eu de peine à se décider. L'Union soviétique, l'alliée des grandes démocraties occidentales, le pays qui combattait avec elles, se défendait au prix de très lourdes pertes contre l'avance irrésistible de la Wehrmacht. Si Roessler, à ses risques, sous sa propre responsabilité, embrassait sa cause, i1 prendrait personnellement part à la lutte contre ce régime hitlérien fondé sur la violence, et cela sans qu'il en résulte le moindre inconvénient pour la Suisse. Il ne cessa pas de transmettre au «bureau Ha» tout ce qu'il apprenait.
Ce faisant, il prenait cependant un sérieux risque. Lorsqu'il fut arrêté en mai 1944 par la police fédérale, on se demanda s'il n'était pas un agent double et si, par son canal, le service suisse des renseignements n'avait pas peut-être fourni des informations aux Russes. I1 y avait des raisons de le craindre. Le soupçon se fondait d'ailleurs sur le fait que la police fédérale avait trouvé dans le logement de «Sissy» quelques lettres de déserteurs qui paraissaient venir d'une source suisse. On se demanda si cette source ne serait pas peut-être le suppléant du chef de la NS l, Mayr von Baldegg, que son service appelait à interroger des déserteurs. I1 eût pu se faire qu'une ligne relie Mayr von Baldegg à Moscou par le canal de Roessler, de Schneider, de «Sissy» et de Rado.
L'enquête établit que ce soupçon n'était pas fondé. Mayr von Baldegg et Roessler s'étaient liés d'amitié déjà avant la guerre. L'un et l'autre appartenaient à ce groupe de «jeunes catholiques» qui, au cours des années 30, avait édité le journal appelé Die Entscheidung.
Lorsque Mayr von Baldegg, à fin 1940, prit son service à la NS l, Roessler avait depuis longtemps commencé à renseigner le «bureau Ha». II avait dû s'apercevoir que les informations qu'il recevait de son ami Roessler ne lui parvenaient pas directement et pas¬saient d'abord par le «bureau Ha». Mais rien ne fut changé à cela.
Il arrivait aussi que les deux hommes, qui se voyaient souvent à titre privé, se demandent mutuellement un conseil ou leur opinion, non pas en tant qu'agents, mais comme amis. Le fait que Roessler eut ainsi entre les mains, deux ou trois fois, des rapports de déserteurs et les ait transmis à Genève ne constituait pas un acte punissable. Après 9 jours de détention, Mayr von Baldegg fut élargi, réintégré dans ses fonctions, réhabilité et indemnisé. Roessler, en revanche, subit 111 jours de détention préventive. Après la guerre tous les autres participants furent condamnés par la justice militaire à 13 ans d'emprisonnement au total pour service de renseignements au détriment d'Etats étrangers. C'étaient les époux Hamel,

l'Anglais Foote, la jeune Bâloise Rosa», Christian Schneider, «Sissy», «Paul» et le couple Rado. Quant à Roessler, il fut déclaré coupable de service de renseignements continu au préjudice de puissances étrangères mais exempt de toute peine, ce qui était au fond une manière de reconnaître les éminents services qu'il avait rendus à la Suisse. (Rado, qui, après la guerre, fut condamné à mort en Russie pour avoir raté son affaire mais dont la peine fut commuée en 10 ans de camp de travail, vit "actuellement" à Budapest.)
Il faut tenir pour remarquable le comportement de la police fédérale, qui a agi d'une façon consciencieuse et diligente, sans souci de ménager qui que ce soit.
L'idée que le service suisse des renseignements aurait peut-être violé les devoirs imposés par la neutralité et fourni à une puissance belligérante des informations recueillies par lui-même avait suffi à cette police pour faire irruption dans la «chasse gardée» de ce service suisse et appréhender l'un de ses chefs.
Pour élucider des points en relation avec les limites souvent assez floues de la neutralité, les autorités judiciaires ne craignirent pas non plus de priver pendant 111 jours le service des renseignements d'un de ses plus précieux collaborateurs.
La police fédérale agit aussi sans ménagements, on peut même dire avec rudesse à l'égard de l'Union soviétique, qu'elle essaya de tromper par des messages émis au moyen de l'appareil saisi chez Foote. Moscou en a voulu longtemps à la Suisse neutre de s'être servie de cette ruse. (note cf :Staline voulait absolument que les Alliés envahissent la Suisse, Churchill s'y opposa…)
C'était d'ailleurs à tort, pour deux raisons.
Premièrement, si «Paul» et «Sissy», à court d'argent par suite de la disparition de Rado, ont pu continuer leur activité jusqu'à leur arrestation, c'est, comme le révéla Pünter après la guerre, parce que des milieux suisses de l'industrie d'exportation, désireux de nouer un jour des relations d'affaires avec l' Union soviétique, leur étaient venus en aide par des prêts.
Secondement, la Suisse a usé de cette ruse légitime également à l'égard de l'Allemagne. Cela permit par exemple à la division politique de la police municipale de Zurich d'arrêter, à peu près au même moment, une Suissesse formée comme radio en Allemagne, de la «convertir» et, avec son aide, d'établir avec le centre d'espionnage de Stuttgart un contact qui eut pour résultat de démasquer une série d'émetteurs d'agents de l'Allemagne. I1 faut cependant dire que ces émetteurs, à l'inverse de ceux des «trois rouges», n'avaient transmis que des informations au préjudice de la Suisse.

L'espionnage et la politique

II n'existe aucun point de contact, aucune ressemblance entre l'affaire des trois espions rouges et les faits que le public n'a connus qu'après la guerre, à la suite d'une indiscrétion qui fit sensation.
Il s'agit des relations que les services de renseignements de la Suisse et de l'Allemagne ont entretenues bien hors du champ de l'activité normale d'un service secret. Qui plus est, ces relations n'étaient pas le fait d'agents équivoques ou de particuliers. Les deux grands chefs des services suisse et allemand les entretenaient personnellement. Même le général Guisan rencontra deux fois, secrètement, en Suisse, le général SS Walter Schellenberg, le chef de l'espionnage allemand à l'étranger. L'objet de ces relations n'était pas l'échange d'informations. I1 s'agissait de politique. Une première rencontre eut lieu le 8 septembre 1942. Négligeant des mises en garde amicales, le colonel brigadier Roger Masson se rendit ce jour-là, deux semaines après le début de la grande offensive de la Wehrmacht contre Stalingrad, dans la ville frontière allemande de Waldshut pour y conférer en secret avec le général SS Schellenberg au cours d'une promenade en forêt. Le Conseil fédéral n'en savait rien et ne fut non plus pas informé après coup.
On a demandé plus tard à Masson et à Schellenberg ce qu'ils attendaient de cette rencontre à Waldshut.
Masson déclara avoir voulu amener Schellenberg à renoncer à la pratique de l'espionnage en Suisse, à ne plus tolérer les menées des frontistes suisses en Allemagne et, enfin, à libérer un fonctionnaire du consulat de Suisse arrêté sous la prévention d'espionnage. Schellenberg prétendit qu'il aurait voulu instaurer un échange d'informations avec la Suisse, mais qu'il n'arriva pas à ses fins. Il aurait en outre voulu établir par cette voie des contacts politiques secrets avec les Alliés. Enfin, il avait espéré apprendre quand et où commencerait probablement l'invasion alliée en Europe.
Le fait que Schellenberg promit la libération du fonctionnaire de consulat sans rien exiger en échange renforça la méfiance de ceux qui avaient, dès le début, considéré l'entreprise de Masson comme téméraire. Le journal de Barbey mentionne l'inquiétude qu'éprouvaient des officiers de haut rang du commandement de l'armée.
Une demi-année après le rendez-vous de Waldshut, le 3 mars 1943, le général Guisan, le colonel brigadier Masson et le général SS Schellenberg se trouvaient réunis pour dîner dans une auberge de la campagne bernoise, à Biglen. II y avait un lien entre cette rencontre et la situation militaire, qui s'était modifiée durant les six mois précédents.
La 6e armée allemande avait capitulé à Stalingrad. La contre-offensive russe avait bousculé les positions allemandes à Koursk, Rostov et Charcov. La supériorité était en passe de se déplacer.
A cette époque, la Suisse était redevenue stratégiquement intéressante.
Le haut-commandement allemand se demandait quelle serait l'attitude de la Suisse si les Alliés, après avoir envahi l'Italie, tentaient une percée sur son territoire pour prendre à revers la ligne Siegfried. C'était une possibilité qu'il fallait envisager. L'armée suisse ferait¬elle front contre les forces alliées? Les combattraient-elles ?
Suivant la réponse donnée à cette question, Hitler pourrait décider de prendre les devants en faisant occuper militairement la Suisse.
Masson et Schellenberg déclarèrent plus tard que la rencontre avec le Général avait servi à obtenir pour le haut-commandement allemand une réponse catégorique, venant de tout en haut, c'est-à-dire de la bouche du commandant en chef de l'armée suisse. La réponse écrite que le général Guisan remit trois jours plus tard au général allemand, à Arosa, contenait, effectivement, le message suivant: «Quiconque pénétrera dans notre pays deviendra par là même notre ennemi. Celui-ci rencontrera une armée absolument unie et un peuple animé d'une seule volonté. Grâce à la configuration de notre pays, nous sommes en particulier en mesure de défendre notre front des Alpes. Quoi qu'il arrive, l'assurance donnée est irrévocable et immuable. Il ne faut y avoir aucun doute à ce sujet, ni aujourd'hui, ni demain.»
Ces contacts, tant la rencontre du général avec le chef de l'espionnage allemand que la déclaration de Guisan, furent cachés au Conseil fédéral. Celui¬ci n'en fut informé qu'indirectement, après que l'aubergiste de Biglen se fut plaint à la police du fait que la page de son «livre des hôtes» sur laquelle les illustres personnages avaient écrit leur nom au complet avait été arrachée et avait disparu sans laisser de trace. Le Conseil fédéral pria alors instamment le Général de s'abstenir à l'avenir de tels entretiens et de déclarations de politique générale qu'il n'était pas habilité à faire.


Les raisons cachées

Si l'on voulait décrire et analyser avec soin les faits antérieurs, les ramifications très développées et les dessous restés obscurs de cette affaire de contacts secrets, il faudrait écrire tout un livre. Nous ne nous occuperons ici que de deux aspects: les intentions politiques de Berlin et la personne du général SS Schellenberg.
Les Allemands avaient essayé d'amorcer une collaboration d'ordre policier entre les services de sécurité de l'armée allemande et de l'armée suisse. Cela devait immanquablement conduire à un échange de vues, qui eut lieu à Berlin en juillet 1942. La Suisse était représentée par un officier des services du colonel brigadier Masson, le capitaine Paul Meyer-Schwertenbach. Les idées allemandes en la matière lui furent exposées.
On lui déclara que la Suisse, qu'elle le veuille ou non, devra, après la victoire finale de l'Allemagne, s'insérer dans l'espace économique de la «nouvelle Europe». Cette insertion pourrait se faire par la contrainte, ce qui signifierait la perte de l'indépendance. La voie dans laquelle elle s'engagerait dépendrait de son désir de s'entendre ou de ne pas s'entendre avec le Troisième Reich.
A Berlin, était-il ajouté, on pense qu'il ne serait pas possible d'obtenir une détente, et encore moins une collaboration, par les canaux obstrués de la diplomatie. I1 faut s'engager dans d'autres voies. Les problèmes pourraient être résolus amicalement et rapidement si l'on trouvait de part et d'autre des hommes influents décidés à dissiper les malentendus, à instaurer l'entente. Cette tâche pourrait être assumée par les chefs des services de sécurité en Allemagne et en Suisse, mais à la condition qu'aucune autorité civile n'en sût quelque chose.
De retour en Suisse, le capitaine Meyer¬Schwertenbach informa le Général, son chef Masson et Willy Bretscher, le rédacteur en chef de la Neue Zurcher Zeitung. Masson et Schellenberg se rencontrèrent secrètement à Waldshut deux mois plus tard, puis une seconde fois chez Meyer-Schwertenbach au château de Wolfsberg près d'Ermatingen.
Bretscher, qui perçait à jour les intentions allemandes, adressa alors au Conseil fédérai une sérieuse mise en garde sous la forme d'un mémoire sur les méthodes de la «stratégie élargie» d'Hitler, une stratégie dont le but était de créer les conditions requises pour une solution brusquée du problème suisse. Il semble bien que cette mise en garde intelligente a eu un effet profond et durable.
Pendant ce temps, Masson et ses amis politiques puisaient dans le comportement de Schellenberg une plus grande confiance dans la sincérité des Allemands. Schellenberg donnait l'impression d'un «brave Allemand». I1 se montrait courtois, discret, aimable. On n'avait pas l'impression d'être en présence d'un officier SS. C'était plutôt un habile homme d'affaires qui n'avait que 32 ans, un homme intelligent ayant le goût des formes élégantes et des manières raffinées. Comme le notait un observateur critique qui visita peu avant sa mort, au printemps 1952, Schellenberg atteint du cancer, un charme discret émanait de sa personne. Il parlait posément. d'une voix assourdie et molle, construisait ces phrases avec négligence. «C'était un homme svelte, de taille moyenne, correctement habillé, pas du tout antipathique», mais sans rien de marquant dans le genre, dans les mouvements, dans les traits du visage, écrivait Klaus Harpprecht. (Shirer qualifia Schellenberg de gangster intellectuel au bénéfice d'une formation universitaire.)
Cet homme n'avait pas seulement gagné la sympathie de Masson et de quelques-uns de ses collaborateurs du comman¬dement de l'armée, il les avait même convaincus. Cela lui avait été facile: il avait suffi de ne jamais avoir demandé quoi que ce fût en échange de quelques complaisances manifestées en Suisse. Masson et ses collaborateurs pouvaient alléguer que Schellenberg avait aussi révélé ses vrais sentiments par les relations nouées vers la fin de l'été 1942 avec le consul général de Grande¬Bretagne à Zurich, Cable. Enfin, il était cru quand il disait avoir sauvé la Suisse d'une invasion allemande en mars 1943. On pourrait ajouter aujourd'hui qu'il avait exposé le point de vue suisse dans un de ses rapports à Hitler, trouvés après la guerre dans les archives secrètes de l'Allemagne.
Et malgré tout, sa physionomie morale reste ambiguë, pour ne pas dire extrêmement suspecte. On a constaté plus tard, de façon sûre et certaine, qu'il mentait quand il affirmait avoir sauvé la Suisse en mars 1943. Eprouvant une confiance illimitée en cet homme, Masson s'était risqué à la légère à poser une question qui révéla à l'«Abwehr» allemande l'existence de la ligne Wiking et entraîna même l'arrestation et le dangereux interrogatoire d'un informateur allemand placé au bout de cette ligne importante. Les choses se gâtèrent à ce point que le chef du «bureau D», le futur commandant de corps Alfred Ernst, qui avait mis en vain Masson en garde contre les contacts avec le général SS, se fit à titre de protestation muter par le chef de l'état-major général et quitta ainsi le service des renseignements.
Il faut dire qu'il ne s'agissait pas, en l'occurrence, de questions de sympathie ou de confiance, ni même des intentions de Schellenberg, dont on devait savoir qu'il était capable de tout et prêt à tout. C'était en effet celui qui se vanta plus tard que les canons de deux pistolets-mitrailleurs dissimulés dans sa table de travail se braquaient automatiquement sur son vis-à-vis. C'était celui qui, dans la pierre bleue de sa bague et dans une dent artificielle, avait sur lui assez de cyanure pour provoquer sa mort en 30 secondes; enfin, c'était un homme enivré par l'effroyable puissance qu'il s'était assurée dans ses jeunes années.
Ce n'est pas lui qui comptait. C'était toujours ce choix politique qui, durant les années de guerre, embarrassa tous les milieux et toutes les classes de la population. Le service des renseignements n'échappa pas à cette difficulté. L'animosité de factions rivales nées à cette époque avait, ici aussi, pour origine l'antinomie irréductible des opinions politiques.
Le général Guisan était au-dessus de ces factions. S'il approuva les relations nouées par Masson et fut même prêt à rencontrer Schellenberg, ses motifs étaient différents. Le souvenir de la malheureuse affaire des documents découverts de la Charité-sur-Loire et le secret de la convention militaire franco¬suisse, dont il a été question au chapitre 7, le hantaient continuellement. On peut penser qu'il n'avait voulu laisser échapper aucune occasion de désamorcer cette arme dangereuse dans les mains du puissant général SS.

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