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Edition du 20 juin 2008 à 19h41 | | Piotr Grigorenko MEMOIRES / Piotr GrigorenkoEn réponse à -4 -3 -2 "Vérité" et interprétations de Francis Deleu le jeudi 19 juin 2008 à 17h42
Bonsoir,
En 1990, les éditions "La Découverte" publiait sous la direction de Alain Brossat, de Sonia Combe, de Jean-Yves Potel et de Jean-Charles Szurek, un ouvrage collectif : A l'Est, la mémoire retrouvée. Je me hasarde à résumer le livre en quelques mots : le rôle de la mémoire collective et les rapports entre l'histoire et la mémoire. Par mémoire, il faut entendre la mémoire effacée, la mémoire manipulée, la mémoire disputée... lesquelles mémoires sont les titres des trois grandes parties du livre.
Mais là n'est pas mon propos ! Un texte du philosophe Alain Brossat sur la commémoration du Pacte germano-soviétique nous a semblé toujours d'actualité sinon une bonne base de réflexion pour tout historien ou passionné d'Histoire.
NB : les mots en italique sont le fait de l'auteur. **********
Une telle commémoration est, en fait, un passage, un pont ou un tremplin, ouvrant sur des débats à poursuivre, des évolutions politiques majeures à venir En URSS et en Pologne, la discussion historiographique qui s'est ouverte à cette occasion ne constitue guère qu'un prologue : d'une part, elle a été largement accaparée par le simple établissement des faits (l'authenticité des clauses secrètes, l'ampleur des déportations découlant de l'accord entre les deux dictateurs, les formes de l'occupation soviétique en Pologne orientale, les conditions de l'annexion des pays baltes et de la Moldavie, etc.), en deçà, donc, des débats d'interprétation. D'autre part, lorsque l'on a abordé l'approche critique, l'herméneutique des textes ou la réflexion sur 1'« événement-pacte » dans son contexte, le souci de l'histoire des chercheurs s'est trouvé fortement contaminé par l'incandescence de l'objet dans ce paysage de l'Europe de l'Est en mutation. Tous les textes, toutes les études publiées en URSS et en Pologne autour du cinquantenaire du Pacte, même les plus «savants», étaient, à leur manière, des textes - voire des manifestes - politiques, des prises de position dans des débats en cours, aux enjeux brûlants dans la vie publique. Il ne s'agit pas, certes, de réclamer pour les débats entre historiens le calme des cénotaphes, mais cette discussion souffrait à l'évidence de ce que chacun semblait souvent s'y engager davantage en fonction d'une sensibilité a priori au phénomène stalinien que d'une étude approfondie des dossiers (...) Ces déterminations a priori, l'importance des enjeux et contaminations liés au cours présent des choses constituent, naturellement, une entrave à l'essor d'un véritable débat historiographique.
Or, concernant cette scène infiniment particulière que constitue le Pacte, l'essor de cette discussion ne peut passer que par une réforme complète de ce que l'on (y compris les historiens) entend communément par la vérité historique - dans les représentations positivistes dominant dans les sciences humaines à l'Est. De par sa nature même, si l'on peut dire, 1'«objet» Pacte se dérobe à une conception fixiste du vrai; les historiens et officiels soviétiques qui mettent l'accent sur toutes les entraves mises par les gouvernements français et britannique à la formation au début de l'année 1939 d'une coalition anti-hitlérienne ne manquent pas d'arguments documentés; en ce sens, ils ne falsifient pas la réalité, ils se contentent de l'interpréter de façon restrictive ou unilatérale, d'en éclairer un aspect seulement - tout comme ceux qui ne mettent l'accent que sur les fatales affinités du nazisme et du stalinisme sur fond desquelles se trouvent scellées les funestes épousailles d'août 1939. De la même façon donc qu'une postérité équitable peut aisément déclarer tous coupables l'ensemble des protagonistes de cette sombre scène, de la même façon - la vérité minimale des archives admise et reconnue - force est bien d'admettre qu'il n'existe pas de Vérité du Pacte, seulement des interprétations. A l'heure où font rage les batailles de mémoire autour du cinquantenaire, il faut bien constater que l'on est assez éloigné encore, à l'Est, de cette ère de l'herméneutique.
Enfin, le scandale (historique, moral, philosophique...) du Pacte, exposé à l'occasion de son cinquantième anniversaire, est que demeure pendante la question: que faire des séquelles enracinées dans l'espace et le temps présent de cette iniquité, que faire de ce jeune vieillard, tout à fait vivace et dont personne ne veut plus, à la manière de ces encombrants criminels de guerre que les « démocraties » ne se disputent guère l'honneur de juger ? Comment compenser , réparer, voire effacer les séquelles de l'outrage ? Poser cette question, c'est poser - comme le font pourtant, il est vrai, une partie des nationalistes baltes et polonais - celle d'une histoire à venir aujourd'hui impensable dans ses conséquences, sinon impossible, une histoire fondée sur des bouleversements géopolitiques majeurs en Europe de l'Est. La commémoration, donc, débouche sur un gouffre béant: elle suscite des questions auxquelles il ne peut exister de réponse, elle met en lumière cette dimension irrationnelle de l'histoire présente: proclamé illégitime dans ses fondements historiques et moraux, le Pacte n'en est pas moins décrété irrévocable et irréversible dans ses conséquences. La commémoration débouche, provisoirement, sur une amère leçon de fatum historique. **********
Bien cordialement,
Francis. |
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