Je découvre ce débat fondamental et de qualité.
Il me semble déceler chez Jacques et "Arcole" un travers commun : une excessive substantialisation du Juif à travers l'histoire et les cultures.
Contrairement à ce que pensent les racistes, le judaïsme est seulement une communauté religieuse, et point du tout ethnique. Tout se rejoue donc à chaque génération : personne, parmi les Européens de vieille souche, ne peut assurer qu'il n'a pas d'ancêtres juifs, de même que, parmi les colons juifs venus peupler la Palestine au XXème siècle, aucun ne pouvait démontrer avec certitude que ses ancêtres y avaient résidé jadis. On sait bien par ailleurs qu'il existe des Juifs jaunes en Chine ou noirs en Afrique.
Quant à la persécution, elle aussi tient d'abord (chronologiquement parlant) à des raisons religieuses : comme le rappelait récemment Barnavi dans un livre par ailleurs discutable, les religions monothéistes sont, plus que les autres, enclines au fanatisme. Et comme le rappelait ici même un intervenant, ou Arcole lui-même en invoquant l'exemple des Etats-Unis, la liberté individuelle est un concept du XVIIIème siècle. Les Juifs, en tant que tels, ne pouvaient donc être libres ni en pays chrétien, ni en pays musulman, même si c'est dans les premiers bien plus que dans les seconds que la persécution violente avait sévi (pour des raisons tenant sans doute principalement au fait que, contrairement à celui des musulmans, le prophète des chrétiens était juif, ce qui rendait difficilement supportable l'idée que "son peuple" ne l'ait pas reconnu), du moins avant la création de l'Etat d'Israël, taillé dans la chair des seconds.
La pensée "anti-Lumières" du XIXème siècle, de plus en plus frottée de racisme, a répandu le mythe d'une substance juive transmise par le sang depuis les premières diasporas, et prétendu que "les Juifs" constituaient partout des corps étrangers, posant le même type de problèmes d'un bout à l'autre de l'histoire. Hitler a repris mot à mot ce langage. Mais il a ajouté quelque chose : se saisissant, au début de 1920, des "Protocoles des Sages de Sion" qui jusque là n'avaient guère servi que dans les polémiques internes de l'empire tsariste, il a présenté les Juifs, non seulement comme des parasites universels, mais comme liés entre eux dans une conspiration planétaire pour la prise du pouvoir. Et il a fini par faire d'eux l'incarnation même du mal, de tous les maux : de ce point de vue, il est le père du fanatisme politique contemporain, tel qu'on peut le voir chez les ultras des deux camps dans les deux grands affrontements qui ont suivi, la guerre froide et celle, actuelle, "contre le terrorisme". Certes, l'antisémitisme, désormais matiné d'antisionisme, sévissait et sévit dans un seul camp, mais la logique consistant à stigmatiser un ennemi planétaire sous le nom d'empire ou d'axe du Mal prend tout autant sa source dans les discours hitlériens de la première moitié des années 20.
Hitler a rendu le monde binaire, et c'est cela qu'il importe de discerner aujourd'hui. Pour redonner tous leurs droits aux nuances, aux diversités et aux métissages.
Hitler a donc fait beaucoup pour inoculer aux Juifs les plus divers (mais non point à tous cependant) le sentiment d'une communauté de destin, et le besoin d'un point d'ancrage en Palestine. Il n'en reste pas moins que son système opère une rupture et que ses crimes ne peuvent être vus (du moins rationnellement) comme la résultante quasi-mécanique d'une accumulation de haine vieille de 2000 ans -comme a tendance à le faire, par exemple, Daniel Goldhagen.
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