Je ne résiste pas au désir de partager ce passage :
"Si les forces de Vichy s'étaient repliées au nord de Damas, leurs familles étaient restées en ville. Le soir tout le monde s'est retrouvé au mess des officiers pour le dîner. Dans le patio une lente translation des tables de part et d'autre du jet d'eau central a repoussé les familles vichystes d'un côté et les abominables gaullistes, mercenaires bourrés de livres sterling, de l'autre. Je me trouvais à une table avec mon vieux complice de Damas 1938, Morel-Deville, beau spahi en rase-pet rouge, le plus grand baiseur que j'ai rencontré dans une vie mouvementée. Il avait rejoint la France libre, seul, à peu près en même temps que moi. D'Egypte il s'était rendu au Soudan britannique et là, avec un culot peu banal, avait recruté un escadron de Soudanais (qui se sont d'ailleurs tout de suite révoltés à Damas et qui ont été renvoyés dare-dare chez eux). Il avait aussi ramené un jaguar qu'il traînait au bout d'une chaîne. Le soir du dîner, l'animal était attaché sous notre table. Un petit chien vichyste s'est aventuré à travers le no man's land en direction des gaullistes pour faire ami avec la grosse bête jaune et noir. La détente électrique du fauve. Le chienchien chéri, reins cassés, hurlant puis mourant. Toutes les tables vichystes regardaient en silence : ces salauds, ils tuent même les toutous.
Cet extrait, associé avec celui déjà cité (Bernanos), illustre parfaitement la diversité du contenu du livre. Des réfèrences au monde culturel de l'époque et souvenirs plus triviaux. Quoi de plus normal pour ce guerrier lettré ?
Cordialement
Laurent |