Dans Le Monde en 2001... - Le livre de la déportation - forum "Livres de guerre"
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Le livre de la déportation / Marcel Ruby

En réponse à -2
-1Sur Sobibor de Lanzmann de René CLAUDE

Dans Le Monde en 2001... de René CLAUDE le vendredi 19 janvier 2007 à 12h52

En septembre 2001, Jean-Michel Frodon écrivait à propos du Sobibor de Lanzmann (extraits) :
La main, rigide, tendue, s'abat. La hache fend le crâne en deux. On n'a pas vu la hache, on a vu la main. On sait ce qu'elle mime, sans comprendre les mots de celui qui joue la scène. Il s'appelle Yehuda Lerner et fut l'un des protagonistes du soulèvement réussi des déportés du camp d'extermination de Sobibor, en Pologne, le 14 octobre 1943. « Vous êtes tout pâle », lui dit celui qui l'écoute et le fait parler, Claude Lanzmann. C'est normal d'être tout pâle, répond Lerner, « quand on se rappelle des choses comme ça ». Il n'est pas pâle de peur ou de rage rétrospectives, explique-t-il, il est pâle de joie. La joie de son geste d'alors, et de ce que ce geste signifie : l'arrachement à l'état de sous-hommes, (mêmes pas des sous-humains », ces êtres que les nazis, ironie sidérante de l'Histoire, appelaient les « musulmans ».
Lerner est réjoui, étonné de la perfection technique de son geste, lui qui n'avait jamais frappé personne de sa vie. (...) Ce moment est porté par un récit de courage et d'angoisse, d'intelligence stratégique et de hasard. C'est le récit qu'a fait Lerner à Lanzmann, en 1979, quand celui-ci enregistrait des témoignages pour ce qui deviendrait son œuvre majeure, Shoah. Mais Lanzmann n'avait pas alors inclus ce témoignage: Shoah est le film-trace de l'extermination quand le témoignage de Lerner est imprégné de force vitale et d'élan irrépressible vers la liberté.
Voici donc Yehuda Lerner. Il est incroyablement beau, il a un visage magnifique, qui fait penser à Burt Lancaster, des yeux et des mains d'une expressivité étonnante. Il est là, deux fois, dans les images qui datent d'il y a un peu plus de vingt ans, et dans les faits rapportés, qui datent d'il y a près de soixante ans. De cet écart entre le présent et le passé naissait la puissance d'invocation de Shoah. Cette fois, si le dispositif est plus réduit, son mécanisme est encore démultiplié par l'ajout d'un double écart. D'abord, celui entre le récit de Lerner et sa compréhension: il n'est pas sous-titré mais traduit de l'hébreu par une interprète. Une voix féminine vient après la voix masculine, et, dans ce décalage, se dit l'extraordinaire de ce que raconte Lerner. Les questions, en voix off, de Lanzmann travaillent à le rendre encore plus concret: «A quoi ressemblait la hache ? », « A quoi ressemblait l'officier nazi que vous avez tué ? », « A quelle heure ? », « Combien d'évasions d'autres camps avant d'être déporté à Sobibor (8 !) ? »(...)


Claude Lanzmann procède par petites touches; il n'hésite pas à reformuler ses questions, à faire sentir sa stupéfaction, ses interrogations. Cela nous semble parfois presque trop simple; en réalité, il cherche inlassablement la vérité dans les replis de la mémoire des témoins pour nous présenter un film à plusieurs niveaux de lecture, la caractéristique de toutes les œuvres majeures littéraires et cinématographiques :
Durant la moitié du film, les images de la réalité actuelle, le son de la voix d'il y a vingt ans et les faits d'il y a soixante ans construisent le travail de la mémoire travail de pensée et d'émotion à un degré d'intensité critique extrême. Un vol de corbeaux noirs, un troupeau d'oies blanches, sont plus que symbole: ils ont une puissance mythique.
« Aujourd'hui » signifie aussi après Shoah, après la réinvention du cinéma confronté aux chambres de la mort. Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures occupe d'emblée une place parmi les grandes œuvres de cinéma, du côté du Dictateur de Chaplin et de To Be or not To Be de Lubitsch, auxquels fait songer la méticulosité incroyable et nécessaire du plan de l'insurrection : les déportés juifs convoquent les officiers nazis à la minute près, avec des écarts infimes, pour les tuer !
Le film se compose de quatre parties. Les deux parties centrales, d'égale longueur (un peu moins de 45 minutes chacune), consistent d'abord pour l'essentiel en des images tournées aujourd'hui en écho à la voix off de Yehuda Lerner, et, après l'entrée dans le camp, sur le visage de Lerner qui raconte. Mais cet ensemble est inscrit entre deux parties qui, pour être brèves, n'en sont pas moins importantes. Toutes deux sont composées d'inscriptions à l'écran, lues à voix haute par Claude Lanzmann en même temps qu'elles défilent. La première est un texte où il explique les conditions de réalisation de ce qu'on va voir, la place de ce film dans l'ensemble de son travail, et le sens de cet « exemple paradigmatique » de ce qu'il nomme « la réappropriation de la force et de la violence par les juifs », et à quelles conditions celle-ci a pu avoir lieu. Il inscrit ainsi clairement son film dans une perspective historique longue, qui se poursuit aujourd'hui, et dont son film Tsahal a naguère tenté une autre approche. Mais c'est l'une des qualités constantes et essentielles du travail du cinéaste Lanzmann , il ne l'enferme en aucun cas dans une démonstration univoque. Au contraire, il libère la puissance des signes.
A la fin du film apparaissent à l'écran les dates et les provenances de tous les convois à destination des chambres à gaz de Sobibor et, chaque fois que ce nombre est disponible, le nombre de personnes qui y ont été transférées pour être tuées le total des chiffres connus est de plus de 250 000. Données statistiques récitées comme une lancinante prière des morts, ce moment inscrit le filin dans la réalité factuelle et dans le mythe au sens d'un récit fondateur, dont l'humanité a besoin pour habiter le monde. A partir de ce qu'il nomme « la parole vive » de Yehuda Lerner, Claude Lanzmann engendre de la mémoire vive.


Claude Lanzmann parle de son film :
Le réalisateur explique pourquoi son film sur Sobibor n'est pas dans Shoah :
La révolte de Sobibor ne pouvait être un moment de Shoah : elle méritait un film en soi, elle réclamait d’être traitée pour elle-même. Elle est en effet un exemple paradigmatique de ce que j’ai appelé ailleurs la réappropriation de la force et de la violence par les juifs. La Shoah ne fut pas seulement un massacre d’innocents, mais aussi justement un massacre de gens sans défense, trompés à toutes les étapes du procès de destruction et jusqu’aux portes des chambres de supplice. il faut faire justice d’une double légende, celle qui veut que les juifs se soient laissés conduire au gaz sans pressentiment ni soupçon, que leur mort ait été "douce", et cette autre selon laquelle ils n’opposèrent à leurs bourreaux aucune résistance. Sans rien dire ici des grandes révoltes, comme celle du ghetto de Varsovie, les actes de bravoure et de liberté, individuels ou collectifs, furent très nombreux dans les camps et les ghettos : insultes, malédictions, suicides, assauts désespérés. Il est vrai pourtant qu’une tradition millénaire d’exil et de persécution n’avait pas préparé les Juifs, dans leur grande masse, à l’exercice effectif de la violence, qui requiert deux préconditions indissociables : une disposition psychologique et un savoir technique, une familiarité avec les armes.
C’est un officier Juif Soviétique, Alexander Petchersky, soldat de métier, à qui donc l’usage des armes n’était pas étranger, qui décida, planifia et organisa l’insurrection en à peine six semaines. Déporté à Sobibor au début de septembre 1943 avec d’autres Juifs, également soldats de l’Armée rouge, Petchersky eut la chance de ne pas être immédiatement envoyé aux chambres à gaz, comme le reste de ses camarades : sur les 1200 personnes qui composaient ce groupe, les Allemands sélectionnèrent une soixantaine d’hommes dont ils avaient un besoin pressant pour des travaux de force et de maintenance. Leur tour de mourir viendrait un peu plus tard, comme ce serait également le cas pour les cordonniers, tailleurs, orfèvres, lingères, quelques enfants aussi, qui résidaient depuis des mois ou des semaines dans la partie du camp appelée « camp numéro 1 » (le « camp numéro 2 », où se trouvaient les chambres à gaz, étant le camp de la mort proprement dit, qui jouxtait le premier) et formaient une main d’oeuvre esclave au seul service des nazis, elle-même périodiquement liquidée.
(...)
Pour réaliser ce film, j’ai voulu suivre les traces de Yehuda Lerner, et suis donc revenu en Pologne, en Biélorussie, à Sobibor même, où je n’étais pas retourné depuis plus de vingt ans. J’ai pu mesurer le passage du temps : la gare est encore plus délabrée qu’elle ne l’était autrefois. un seul train par jour fait l’aller-retour Chelm-Wlodawa. La rampe où débarquèrent plus de 250 000 Juifs, qui était alors un talus herbeux, est aujourd’hui grossièrement cimentée pour permettre le chargement de billes de bois. pourtant, le gouvernement polonais a décidé, il y a 5 ans, la construction, à Sobibor, d’unpetit et émouvant musée au toit rouge. De même à Wlodawa, la synagogue dont la cour, en 1978, servait de parking pour camions, a été elle aussi transformée en musée et est maintenant entourée d’un joli parc au tendre gazon.


RC

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