Revue de l’Aviation Française ICARE N° 101 / 1982-2ème trim.
Il y a quarante ans, mai - juin, Bir-Hakeim (2ème partie), page 40.
Le torpillage du « Nino-Bixio » vu par un rescapé.
(ce rescapé reste inconnu à ce jour malgré nos recherches)
« Une partie des soldats français libres capturés à Bir-Hakeim fut envoyée en Italie à bord de ce navire torpillé au cours de sa traversée.
Depuis le 16 juin 1942, nous étions parqués dans un camp immense à 10 km environ de Bengazi. Nous étions là, des prisonniers de toutes les nations et de toutes les races, butin de la foudroyante avancé de ROMMEL. Nous français, nous étions le gibier de choix, séparés de nos amis par du barbelé, nous ne pouvions pas leur parler, la haine de nos geôliers à notre égard était grande. N’avaient-ils pas l’amertume de n’avoir pu nous fusiller ! Durant deux mois, dévorés par la vermine, crevant littéralement de faim, objet de toutes sortes de vexation nous attendions avec impatience un changement de camp.
Le 15 août à la tombée de la nuit, on nous enleva en camions pour nous conduire au port de Bengazi. Là deux cargos nous attendaient pour nous transporter en Italie. Je crois que nous devions rejoindre Brindisi, je ne me souviens plus du nom du premier cargo, quand au deuxième , c’était le « Nino-Bixio » sur lequel on nous entassa à 7 000 dont 400 français environ. 200 Noirs des notre étaient gardés à Benghazi pour travailler au port. Ce navire était neuf, je crois qu’il était à sa huitième traversée. Nous en occupions une cale vers le centre, ayant au-dessous de nous des Hindous. Nous étions entassés au point de pouvoir à peine nous asseoir. Quatre échelles à barreaux permettaient de descendre dans cette cale et d’en sortir. A chaque échelle, une sentinelle ; défense de monter sur le pont. A tour de rôle nous pouvions nous rendre aux W-C aménagés sur le pont. Comme nous avions tous la dysenterie c’était un va-et-vient continu. Il fallait d’abord pouvoir sortir de cette cale où nous vivions dans une affreuse atmosphère, et cette montée demandait au moins deux heures dans la file avant de pouvoir atteindre le haut de l’échelle. Il y avait bien des hurlements, car la bonne humeur nous avait depuis longtemps abandonnés, mais comme tout cela se répétait souvent il fallait se résigner.
A l’assaut des échelles.
Le convoi composé d’un croiseur et de contre-torpilleurs d’escorte s’ébranla dans la nuit, l’espoir existait toujours dans nos cœurs, espoir d’être arraisonnés par une escadre anglaise et de retrouver la liberté, puisque nous savions que les alliés avaient la maîtrise navale de la méditerranée.
Le 17 août vers 16 heures, je devisais avec le Chef R. et le jeune Le P., tous deux bretons comme moi. Notre conversation était empreinte du plus noir pessimisme ; si dans deux heures il n’était rien arrivé de nouveau, ce sera la longue captivité avec une inactivité de plus en plus pesante. Nous pensions à nos jeunes femmes, à nos parents, dont depuis de longs mois déjà nous n’avions aucune nouvelle et cela rendait nos cœurs bien lourds. Tout à coup une terrible secousse ébranla notre bateau. En un éclair, tous, comme un seul homme, nous fûmes debout et à l’assaut des échelles ; au même instant une deuxième secousse, plus forte, suivie d’une explosion, nous rejetait du côté où le bateau se penchait. Nous reçûmes une masse d’eau qui inonda notre cale et celle des Hindous au-dessous. Ce fut alors la panique ; nous avions beau crier, hurler au calme rien n’y faisait. Chacun voulait arriver le premier sur le pont. Pour ma part je suis arrivé les mains et les pieds en sang ; je me trouvais au 4e ou 5e rang, je passait par dessus mes camarades. On me tirait les pieds, on me décrochait les mains et ceux qui étaient les premiers à l’échelle ont été handicapés et à moitié écrasés. C’était ahurissant de voir cette grappe d’homme accrochée aux échelles qui pliaient sous le poids et je me demande encore comment elles ne se sont pas rompues.
Ayant atteint le pont, j’assistais à un triste spectacle. Comme des moutons de Panurge tout le monde se jetait à la mer, certains plongeant, certains descendant au moyen de cordes. D’autres essayaient d’assembler des dessus de cales, lourds panneaux de 1 mètre sur 60 cm d’épaisseur environ, les jetant à la mer pour en faire des radeaux. Ces panneaux tombaient sur la tête d’un camarade qui disparaissait à jamais assommé. Sur le pont des hurlements de mort. Les Hindous surtout étaient les plus effrayés. Je n’avais qu’une crainte c’est que les avions survolant le bateau au ras du mâts ne nous mitraillent ; je voyait les contre-torpilleurs passant au milieu du flot humain, à la recherche du sous-marin anglais. Quelques hommes, une cinquantaine environ prirent place dans une barque. Les poulies étaient coincées ils n’arrivaient pas à descendre. L’un d’entre eux armé d’un couteau de cuisine, coupa une corde d’attache, la barque bascula et déversa son contenu à la mer. Devant ce spectacle je ne savais plus que faire, je m’adressais à un camarade vieux marin, il me répondit : « Maintenant c’est à la grâce de Dieu ». Quelques instant plus tard je le voyais se débattre comme une carpe dans la mer au milieu d’une nappe de mazout, et disparaître à son tour. Ma résolution fut donc prise : périr pour périr, autant s’engouffrer avec le bateau, d’autant que je sais à peine nager et dans les conditions physiques où je me trouvais, je n’aurais pas tenu sur l’eau un quart d’heure. Je me munissais tout de même d’une ceinture de sauvetage abandonnée par l’équipage, puis avec un camarade qui avait encore une cigarette, provenant de je ne sais où, je fumais celle que je croyais être la dernière. Le film de ma vie passait très rapidement devant mes yeux, des images chéries, des pays chers, que je ne comptais plus revoir, peuplaient ma vision et je pensais qu’il était atroce de mourir dans ces conditions. Mon camarade F. qui avait réussi à sauver quelques photographies qui lui étaient chères, les avaient oubliées dans la cale, il redescendit à leur recherche et découvrit en même temps un des nôtres inanimé ; il avait fait une chute de 6 ou 7 mètres de l’échelle, on l’avait laissé pour mort.
Ruée vers la cambuse.
L’équipage, commandant, officier et personnel était italien, le personnel de la D.C.A. était allemand. Dès la première torpille tout ce monde abandonnant armes et bagages se jeta à la mer. Seul le commandant et quelques officiers restèrent à bord. Au bout d’un temps assez long, nous vîmes apparaître le commandant, qui s’adressant à nous dans un français petit nègre puis dans un anglais plus correct, tint ce langage : « Ce bateau, ayant été visité par des scaphandriers, ne coulera pas. Vous êtes à présent les maîtres à bord. Deux contre-torpilleurs vont nous remorquer, vous pouvez manger et boire ce qu’il vous plaira, mais ne faite pas de sabotage ». Aussitôt, oubliant le drame que nous venions de vivre, ce fut une ruée vers la cambuse. Car nos estomacs étaient vides depuis longtemps. Tout y passa, depuis le gros rouge jusqu’au champagne et fines liqueurs. Les cuisines furent vidées, pommes frites, petit pois, thon, fromage, lait, tout cela englouti à la manière des fauves, à tel point que la plupart d’entre nous furent sérieusement malades dans la nuit. Puis la première faim apaisée, la visite du bateau commença. Un de nos camarades nous joua un bon tour en l’occurrence ; ayant atteint le carré des officiers, que l’on croyait également vide, nous eûmes la surprise de trouver installé à une table un officier en train de dîner. Nous eûmes le scrupule de ne pas le déranger et de faire demi-tour, quand quelques instants nous nous aperçûmes que cet officier était un des nôtre. Nous étions furieux naturellement. La visite des cabines commença tout ce qui était intéressant fut jeté à la mer ; les meubles furent brisés, du matériel et des armes démontés... car si nous venions de voir la mort de prés, dès que nos vies furent sauves, l’ennemi était toujours l’ennemi.
Cette nuit fut une bonne nuit. Dormir sur le pont en plein air, ne pas respirer cet air nauséabond, avoir le ventre plein, la vie était belle. Le lendemain matin dès notre réveil, nous aperçûmes les cotes grecques. Le torpillage avait eu lieu à 40 milles environ de ces cotes, la première torpille toucha les machines, ce qui stoppa le bateau. La deuxième explosa dans une cale à proximité de la nôtre vers l’avant, faisant 400 victimes. Dans cette cale ce n’était qu’une bouillie de chair humaine, de sang et d’eau. Heureusement que le cargo était neuf et à cloisons étanches. Nous arrivâmes au port de Pilos, dans la baie de Navarin. Une nouvelle escorte venue de terre, pris possession de notre troupeau qui venait de passer une bonne nuit. Mais dès que les autorités s’aperçurent du dégât, de la disparition de tous les objets précieux, cela alla plutôt mal. (Notre camarade abandonna bien vite sa tenue d’officier de marine italienne, ce qui lui évita des ennuis). Une fouille totale fut organisée ; sur les Hindous on découvrit pas mal de bibelots, qu’ils avaient conservés dans leur naïveté. Ils furent battus, maltraités et considérés comme responsable de toutes la casse. Les français eurent des félicitations pour leur conduite durant le torpillage ! Cette journée fut donc employée à la fouille et au transfert à terre des restes de nos infortunés alliés qui après avoir été enduits de chaux, car des odeurs de décomposition se faisaient déjà sentir, furent inhumés dans un cimetière de Pilos. Quand nous fîmes l’appel, presque la moitié des prisonniers manquait, je ne peux pas me faire une idée exacte des disparus, mais je crois être prés de la vérité en disant que sur 7 000 que nous étions embarqués, plus de 3 000 restèrent dans cette tragédie. Nous passâmes encore une nuit à bord, là un camarade tenta une évasion en rejoignant la rive à la nage. Il fut repris quinze jours plus tard. Le lendemain une colonne de camions vint nous prendre, on nous embarqua par petits groupes sur une barque. Nous commencions à réaliser le drame que nous venions de vivre, nous nous étions promis que nous aurions écrit cette aventure. Hélas, nos peines n’étaient pas terminées, d’autres aventures ont suivies, trop d’aventures sans doute et puis on n’aime pas revivre de tels souvenirs. Je dirais même que j’ai parfois l’impression que tout cela n’a pu être »
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mon contact gerardlepoittevin@wanadoo.fr
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Mon oncle Roger LE POITTEVIN est décédé lors de ce torpillage.
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Acte de décès de Roger LE POITTEVIN au registre d’état civil de la mairie de Saint-Brieuc
Registre de 1947, acte N° 212.
« Vu la grosse qui nous a été remise ce jour. Nous transcrivons ici le dispositif d’un jugement rendu.
Le 11 mars 1947 le tribunal civil de Saint-Brieuc.
Le tribunal déclare contant pour avoir eu lieu en mer le dix sept août mil neuf cent quarante deux le décès du nommé Le Poittevin Roger né à Saint-Brieuc le quinze avril mil neuf cent vingt et un fils légitime de Auguste Jean Nicolas et de Anne Marie Le Gall, domicilié à Saint-Brieuc 24 Rue de l’Yser, célibataire « Mort pour la France » Ordonne en conséquence que le présent jugement lui tiendra lieu d’acte de décès.
Transcrit le seize Avril mil neuf cent quarante sept à quatorze heures par nous Jean Nicolas, chevalier de la légion d’honneur, premier adjoint au maire, officier de l’état civil par délégation ».
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La médaille de la Résistance Française lui est décernée à titre posthume par décret du 31 mars 1947, J.O. du 26 juillet 1947. Il est également titulaire du diplôme de la médaille commémorative des services volontaires dans la France Libre n° 22.827.
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UFFICIO STORICO DELLA MARINE MILITARE (USMM)
Série : La marina italiana nella seconda guerra mondiale
Navi mercantili perdute volume VII, page 453.
« Le navire Nino-Bixio appareille le 16 août 1942 de Benghazi pour Brindisie, avec le SESTRIERE, sous escorte des contre-torpilleurs DA RECCO et SAETTA et des torpilleurs CASTORE, ORIONE et POLLUCE.
Le BIXIO avait à bord 2 800 prisonniers et 40 soldats de garde. Le 17 août à 15 h 30 à 36° 36’ nord et
21° 30’ est (au large de Sapienza), il est touché par 2 torpilles du sous-marin britannique TURBULENT : une torpille au centre à tribord, au niveau de la cale 2 pleine de prisonniers et une autre dans la salle des machines.
Le SAETTA le prend en remorque jusqu'à Pilos (Pylos, Navarin, Navarini ou Neokastro), 36° 55’ nord
21° 42’ est, accompagné de l’ORIONE et du POLLUCE, où il arrivera le 18 août à 07 h 00.
336 prisonniers ont été tués ainsi que 12 hommes d’équipage ».
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THE NAVAL WAR IN THE MEDITERRANEAN 1940 – 1943
By Jack Greene and Alessandro Massignani.
Traduction faite par le Cdt Rochas.
« Il y a une tragédie dont on doit évoquer avant de revenir à la défaite finale de l’Axe en Afrique du Nord. Des navires-hôpitaux ont été accidentellement bombardés où torpillés durant la guerre, mais aussi, comme nous l’avons vu deux fois, des prisonniers de guerre alliés de diverses nationalités furent tués lors d’attaques de sous-marins britanniques, presque certainement par accident. Cependant, le 9 octobre 1942, ULTRA signala que le LORETO appareillait de Tripoli et qu’il transporterait 350 prisonniers de guerre. Quatre jours plus tard, il fut coulé par le UNRUFFLED. Dans la nuit du 14 novembre, le SAHIB coula le SCILLIN, et environ 800 prisonniers moururent. Santoni ne put trouver aucun message d’alerte (sur le départ de ce navire) et Hinsley n’en parle pas. Mais Santoni trouva un témoignage sur cela.
Un long message non signé dans le PRO (Public Record Office en Angleterre), daté du 20 novembre 1942 a pour titre « Transport de prisonniers de guerre par navires italiens ». Ce message stipule que le LORETO et le SCILLIN ont été repérés par ULTRA, et qu’ils transportaient des prisonniers. L’alerte ULTRA concernant le SCILLIN arriva le 13 novembre. Ce message recommanda alors que cela s’arrêta et donna des informations sur 29 navires dont on savait qu’ils transportaient des prisonniers dans le passé. La question qui est soulevée est la suivante : est-ce que les Anglais délibérément coulèrent ces deux navires pour protéger le secret d’ULTRA ? Les auteurs (de ce livre, Greene et Massignani) croient que ce coulage relève davantage de l’inefficacité que d’une intention délibérée. Mais il est intéressant de noter qu’à part les auteurs (de ce livre) aucun historien anglais n’est connu pour s’être attaqué à ce sujet directement, et qu’un historien italien (ce Santoni) fut seul à le mettre en lumière ; Cela reste un sujet également pénible dans le commonwealth. Le « Nino Bixio » transportait 2921 soldats de l’Empire britannique et, avec un autre navire de transport de prisonniers banalisés, appareilla de Benghazi pour Brindisi le 16 août 1942. Le 17, le TURBULENT, d’Alexandrie, le torpilla deux fois. Le navire réussi à rejoindre la baie de Navarino avec 432 morts, principalement des indiens, mais aussi 117 Néo-Zélandais »
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Je fais la liste des presonnes dcd lors de ce torpillage, avez vous des noms à me soumettre???
Bien Amicalement. Gérard LE POITTEVIN gerardlepoittevin@wanadoo.fr |