Bonjour,
Comme le souligne Michèle Cointet, il est étonnant de constater que Giraud sembla soudain être comme "libéré" par l'exécution de l'amiral Darlan : lui qui n'avait cessé d'affirmer haut et fort à tous ceux qui le soutenaient qu'il n'entendait rien à la politique et que seul un commandement militaire l'intéressait, le voilà pris d'un subit désir de gouverner... ! La voie libre, il veut s'y engouffrer. De Gaulle fut d'ailleurs un temps leurré par Giraud. Le chef de la France libre était lui aussi persuadé que Giraud, absorbé par les urgences militaires en Tunisie, continuera à se tenir loin des marches du trône pour lui laisser les fonctions politiques et administratives. C'est compter sans les ambitions nouvelles du général Giraud et sans l'intervention des Américains. Il s'est produit un grand changement dans le comportement du général Giraud au lendemain de l'assassinat de l'amiral Darlan. Repoussant jusque-là le calice du pouvoir, ne s'intéressant qu'aux questions militaires, ne voilà-t-il pas qu'il s'empare hardiment de la succession de Darlan au haut-commissariat et qu'il manœuvre avec autorité dans le champ politique. (p. 211-212)
Note : cette dernière affirmation me semble un peu excessive; on sait que Giraud n'était PAS une tête politique; si l'élimination de Darlan a sûrement boosté un désir de commandement civil en sus de la direction militaire chez Giraud, sa relégation et son éviction en quelques mois par de Gaulle durant l'année 43 démontrera bien son incompétence politicienne, du moins ses sérieuses limites en la matière.
Alors qu'il avait esquissé quelques semaines avant un discret rapprochement avec la France libre, soudain il fait arrêter ses partisans qu'ils envoient croupir dans des camps d'internement sahariens ou qu'il fait assigner à résidence. Bref, de Gaulle est persona non grata à Alger. Ensuite, Giraud rabroue vertement le jeune comte de Paris venu une fois encore proposer ses services comme intermédiaire entre les vichystes, les Américains et les gaullistes.
Pourquoi ces décisions radicales qui mettent un Beaufre au désespoir ? Selon l'historienne :
La première explication est que cet homme, épuisé entre le 8 et le 12 novembre 1942, s'est ragaillardi et a retrouvé, dans des cadres professionnels familiers, confiance dans sa mission. Il est heureux de son commandement en Tunisie, d'être écouté par le commandant interallié, le général Eisenhower. La seconde explication est que l'assassinat de l'amiral Darlan le pousse à mobiliser son énergie. C'est le maintien de l'ordre à l'arrière qui est en question et là, il est à son affaire. D'où la dureté avec laquelle il fait exécuter en hâte le jeune Bonneir de la Chapelle. Il a étouffé dans l'œuf un complot dont existent des surgeons qu'il saura couper. (p.212)
Groupés autour du général Bergeret, les amis de Giraud assiègent littéralement Eisenhower, lui rappelant sa promesse de donner le pouvoir à leur favori. Bergeret rencontre Eisenhower avant la réunion du Conseil impérial; il s'agit de pousser le commandant en chef à exiger l'éviction de Noguès, "coupable d'avoir fait tirer sur les Américains au moment du débarquement."
Le 26 décembre, le Conseil impérial choisit Giraud comme haut-commissaire à l'unanimité. Noguès : out, Eisenhower ayant usé de son droit de veto sur les délibérations des membres du Conseil. Quant à de Gaulle : indésirable. Les hauts responsables d'AFN (gouverneurs) ont obtenu la promesse orale de Giraud qu'il ne fera jamais venir de Gaulle à Alger...
Bien cordialement,
RC |