Dans son étude très complète et passionnante sur l'affrontement de Gaulle-Giraud, Michèle Cointet aborde forcément le dossier de l'exécution de l'amiral Darlan, une affaire qui a déjà suscité une volumineuse bibliographie très souvent marquée de lectures partisanes de l'événement.
Voici ce qu'elle écrit :
Mon opinion est que l'assassinat de l'amiral Darlan a été organisé par le chef de la police, Henri d'Astier de la Vigerie, avec l'aide ponctuelle des services secrets étrangers locaux, pour liquider le Darlan Deal, cette erreur du Département d'Etat et du président Roosevelt. Il était destiné à rétablir enfin la situation envisagée par les comploteurs du 8 novembre 1942 : le général Giraud exerçant le pouvoir politique. Comme l'évadé de Königstein n'était pas très intéressé par les combats politiques et ne cachait pas leplaisir attendu de courir sus aux Allemands en Tunisie, il laisserait la direction des affaires à Alger au général Bergeret et à Jacques Lemaigre-Dubreuil.
Pour parvenir à cette thèse, l'historienne a éliminé les reconstructions partisanes les moins crédibles.
Concernant l'argent - 40'000 dollars - que François d'Astier reçut de la France libre à Londres, il devait servir à la propagande de la France combattante; François le remit à Henri mais en insistant sur le fait que Darlan devait être éliminé par tous les moyens... Avant d'être expulsé par Darlan, François d'Astier a quand même le temps de revoir Giraud et de l'entendre exhaler sa rancœur contre Darlan, coupable de grignoter ses responsabilités militaires. Il aurait dit qu'il fallait éliminer Darlan et a proposé de conclure un accord avec "Gaulle" qui aura le pouvoir politique tandis que lui exercera le commandement militaire.(...) Le général d'Astier a aussi trouvé le temps avant son départ de rencontrer deux personnalités. Il voit le comte de Paris. On ne sait rien des propos qu'il a échangés.(...) Il rencontre surtout Jacques Lemaigre-Dubreuil.
Une chose est sûre : François d'Astier profita de son séjour à Alger pour mettre la pression sur son frère et les jeunes gens qui rêvaient d'héroïsme et qui en avaient été frustrés par le Darlan Deal.
Michèle Cointet : Il est curieux que les soupçons sur les instigateurs de l'assassinat de Darlan se soient surtout portés sur le général de Gaulle, le comte de Paris ou les agents de l'Intelligence Service mais presque jamais sur les agents américains qui ont pourtant toute liberté d'agir en Afrique du Nord. La raison principale - en dehors de l'habituelle absence de preuves - est que l'amiral Darlan était l'homme des Américains. Ce n'est pas tout à fait exact puisqu'une partie des hommes d'influence déplore aux Etats-Unis mêmes le Darlan Deal qui porte tort à l'idéologie démocratique et aux postures éthiques.
Cette dimension "morale" n'est pas à négliger, surtout quand on sait le pouvoir des correspondants de presse et des membres des services de propagande américains à Alger. Parmi ses "honorables correspondants", l'historienne pointe le nom de Carlton Coon, un anthropologue, ancien de Harvard et agent de Donovan en AFN (OSS) qui s'est chargé de l'instruction militaire et de la "formation" politique de Bonnier de la Chapelle. Il exerça sur le jeune royaliste exalté une influence constante et fut présent le jour de l'exécution de l'amiral attendant tout près de l'annexe du Palais d'Eté...
Là encore, pas de preuves ni de documents indiscutables, mais ce point de vue mérite de retenir l'attention, car s'il n'y eut qu'un seul exécuteur, les commanditaires et les complices possibles furent nombreux.
Cette configuration du complot est caractérisée par une conjonction d'intérêts politiques à court terme. Giraud, de Gaulle, le comte de Paris, Churchill et certains Américains avaient tout à gagner de l'émimination de Darlan. Si certains ne furent pas impliqués directement dans l'affaire, leur bienveillante à l'égard des comploteurs dit bien qu'ils furent satisfaits de voir l'expédient être expédié !
Cordialement,
RC |