Dans la bio que Carl Laske a consacrée au financier nazi François Genoud, il aborde ses relations avec des hommes de l'ombre. Parmi eux, le chef du SR suisse, Masson et celui du SD, Schellenberg. Ces liens suscitent une digression intéressante. Si on suit l'auteur, Schellenberg aurait habilement manipulé le colonel helvétique du SR pour en faire un agent - pas forcément conscient de son rôle - dans la toile du renseignement nazi. Bref, c'est le manipulateur manipulé ! Le colonel Roger Masson (...), fort compromis dans la manipulation des sympathisants de l'Allemagne, a commis l'imprudence de confirmer le 21 septembre 1945 au Chicago Daily News ses contacts avec Walter Schellenberg (...) dès 1942. L'"affaire Masson" débute. Deux députés demandent et obtiennent l'ouverture d'une information. Le 23 octobre, une enquête administrative est ouverte (...).Elle conclura au non-lieu quelques mois plus tard, mais mettra un terme à la carrière du colonel. (p.88)
On sait que Masson resta en contact amical avec Schellenberg. Témoin à décharge à son procès (Nuremberg), il l'aida, une fois en Suisse, à être soigné par un médecin de la ville de Romont dans la canton de Fribourg. Et Laske ajoute :
Les historiens s'interrogent encore sur leur collaboration. Masson se défendit en arguant qu'il avait utilisé Schellenberg pour déjouer les menaces d'invasion de la Suisse par l'Allemagne. Plus vraisemblablement, comme l'explique l'historien Daniel Bourgeois, le chef du SD a laissé croire au patron du SR suisse qu'il avait réussi à faire abandonner un projet d'invasion de la Suisse à l'étude en janvier-mars 1943. On sait à présent qu'un tel projet n'a jamais existé. Et qu'il n'était peut-être qu'un piège destiné à faire tomber les informateurs suisses, ou un hameçon pour le seul colonel Masson.
En revanche, et c'est important, le biographe écrit que selon plusieurs auteurs, le chef du SD a obtenu de Masson le démantèlement du réseau soviétique Rado à Genève en 1943.
Et de conclure le chapitre :
D'autres ont attribué au colonel Masson le pseudonyme "Senner 1" utilisé par le SD pour camoufler ses contacts à l'étatamjor suisse, et à deux de ses proches collaborateurs "Senner 2" et "3". L'hypothèse est retenue par tous. Le colonel Masson, lui, affirmera avoir encore "plusieurs secrets au service de son pays." (p.88)
Masson fut sans conteste un patriote plutôt conservateur qui pensait pouvoir actionner sa ligne avec Schellenberg afin d'obtenir des renseignements vitaux pour la sécurité de la Confédération quant aux intentions d'Hitler pour la Suisse. Il transmit d'ailleurs ce qu'il obtenait à Guisan, commandant en chef de l'armée et le décida à prendre part à une rencontre discrète avec le nazi. Or, en fin de compte Masson se fit manipuler par l'habile chef du SD qui sut jouer sur la corde sensible chez l'officier suisse. Alors naïf ou roublard, le colonel à ce poste hyper-sensible dans un pays encerclé par les forces de l'Axe ? Je penche plutôt pour un caractère naïf dépassé par un enjeu et des "partenaires" plus roués qui surent utiliser son enthousiasme pour le faire parler.
Mais quels sont ses autres secrets... ?
RC |