Bonjour,
Quelques lignes extraites de l'introduction à l'indispensable l'histoire de la France libre par Jean-Louis Crémieux-Brilhac pour rappeler à la génération de nos petits-enfants, qui, connaissant la suite, saluent le choix du 18 Juin comme évident et nécessaire, qu'un tel geste, borne militaire de notre histoire, n'était pas d'avance acquis.
Le passé a été aussi un temps présent pour ceux qui l'ont vécu, Raymond Aron n'a cessé de l'écrire et de le dire. Or, en ce temps présent de l'an 40 qui vit l'effondrement de notre pays, naguère encore au premier rang de l'Europe, la victoire de l'ordre nouveau nazi parut longtemps plausible sinon certaine au plus grand nombre des Français. Beaucoup s'en sont accommodés; l'image du "plus illustre d'entre eux", le vainqueur de Verdun, n'était pas encore ternie. Quant au général de Gaulle, il aurait très bien pu ne pas exister, ou être bloqué en France ou prisonnier des Allemands : aucune providence n'exigeait que la France, en perdant une bataille, trouvât un chef de guerre. Qui plus est, l'aventure où celui-ci se lança pouvait sembler folle. Même dans le camp allié, de Gaulle a passé plus d'une fois pour un don Quichotte, voire un paranoïaque du nationalisme.
Que cet homme isolé en terre étrangère ait dû, seul de tous les chefs européens en exil, se dresser à la fois contre l'Allemand et contre le pouvoir légal de son pays, qu'il ait eu non seulement la vocation, mais la capacité, dans son exil,de relever et de rallier la nation défaite - qui ne le connaissait que par sa voix - afin de la hisser avec lui au rand des pays vainqueurs, tient en effet du prodige. Illustration de l'acte radiophonique initial, cet "éclair politique" à partir duquel tout allait diverger. Illustration, surtout, du rôle des grands hommes en histoire : impossible d'en faire son deuil. Contre les augures du fatalisme, de Gaulle a témoigné pour la tradition prométhéenne. La geste gaullienne n'abolissait pas les contraintes de la démographie et de l'économie qui condamnaient désormais la France à être au mieux une puissance moyenne. Ces contraintes, que nous mesurons plus exactement depuis la fin de l'Empire colonial français, ajoutent une tonalité pathétique à son obsession de grandeur, à son acharnement à rendre à la France ses possessions, sa puissance et son rang en même temps que son indépendace et son honneur. Quoi que certains se figurent encore, les Français auraient été libérés même sans lui ? Mais à quelles conditions ? Et avec le risque d'une guerre civile. L'image de nos concitoyens se font de leur pays serait en tout cas différente et ils auraient vécu autrement le dernier demi-siècle.
A ce beau texte d'un homme qui, après s'être engagé dans la France libre, a su conserver toute sa lucidité quand il en devint l'historien exigeant, j'ose ajouter un petit point personnel.
Parfois des amis, étonnés de découvrir dans ma bibliothèque une abondante littérature consacrée au gaullisme de guerre(*), me demandent de façon un peu ironique si je suis devenu gaulliste...
Je leur réponds que mon admiration pour l'homme des tempêtes repose justement sur cet éclair politique qui, en ce mois de juin 1940, fut perçu comme une tentative désespérée en premier lieu chez ceux qui ont rejoint Charles sans terre à Londres. La force du gaullisme de guerre fut de transcender les particularismes, les sectarismes et les dogmatismes idéologiques.
Bien cordialement,
RC
(*)L'autre période fascinante de la vie du Connétable est le temps de la guerre d'Algérie et la naissance de la Ve République. |