L’Armée d’Armistice. Réponse à madame Léon.

Les Français des générations postérieures aux évènements de 39 /45 s’étonnent constamment que un tel ou un tel à cette époque n’ait pas immédiatement choisi la bonne solution au problème posé à la France défaite, c’est à dire continuer tout aussitôt d’une façon ou d’une autre, la lutte contre l’occupant.
À l’époque du téléphone portable, des reportages instantanément transmis depuis le bout du monde via la radio où la télévision, les Français de la génération actuelle ne comprennent pas qu’à cette époque l’information, à part des émissions de propagande sous la férule des nazis, était constituée uniquement par des bruits et des ragots qui parcouraient la France en tout sens.
Et puisque madame Léon demande des informations sur le 8ème Cuirassier, je vais lui en donner de première main car mon père et mon oncle en faisait parti.
Tout d’abord le gros de l’Armée de l’Armistice était constitué de militaires ayant échappé à l’encerclement et aux camps de prisonniers et qui se sont trouvés au sud de la ligne de démarcation après la signature de l’armistice. Ceux qui appartenaient à des unités de blindés qui ont participé à des batailles de chars en Mai 1940, qui n’avaient pas péri carbonisés dans leur engin comme à la bataille de Gembloux en Belgique et qui avait réussi à échappé à la capture soit en réussissant à embarquer à Dunkerque (mon oncle) soit à forcer le passage de vive force à travers les colonnes blindées allemandes qui se dirigeaient vers Dunkerque (mon père), furent regroupés au moment de la débandade de Juin dans une ou deux unités dont le 8ème Cuirassier.
Il y avait dans ce régiment des survivants par exemple de la 2ème division légère mécanique dont le 13ème Dragon cantonné à Melun avant guerre ( n’oublions pas que 80 000 soldats français sont morts en 1 mois et ont tué 60 000 soldats allemands).

Ce 8ème Cuirassier se retrouva en juillet 40 cantonné au Nord de Châteauroux, le PC étant à Villedieu sur Indre dans un château en état d’abandon où l’eau coulait de toute part (ruines actuellement), les différents pelotons étant disséminés alentour, Buzançais, Vandoeuvre etc…Les chevaux avaient remplacé les chars comme avant que ces régiments de cavalerie deviennent régiments blindés (1937).

Comment ces militaires presque tous de l’armée active se représentaient la situation ? D’abord il a fallu de nombreuses semaines avant qu’ils entendent parler du Général De Gaulle. Et quand ils en ont entendu parler, ils sont restés longtemps sur l’expectative pour la plus part d’entre eux. Voilà un général qui quitte la France à un moment crucial pour aller chez les Anglais qui viennent d’ouvrir le feu le 4 juillet à 16h, 53 sur notre flotte ancrée à Mers el Kébir. Roosevelt fait de grands discours à Washington mais ne parle pas du tout d’entrer en guerre contre le Reich. D’ailleurs heureusement que nous en savions pas plus car nous aurions appris qu’il détestait les Français. Il faudra attendre Pearl Harbour le 7 décembre 1941 pour qu’il fasse entrer les USA dans la guerre.

Nous sommes seuls.

Quelques uns de ces militaires du 8ème Cuir. pensent que la partie est perdue. Ils acceptent la situation, sollicitent le “congé d’armistice"* et regagnent leur pays en zone occupée dont Melun.
D’autres veulent se mettre en situation pour reprendre la lutte à la prochaine occasion. À l’état-major de Vichy il y en a qui prennent des dispositions en ce sens, ils font passer des milliers de militaire de l’armée de l’armistice en Afrique du Nord. Le lieutenant Darneau, mon oncle, est affecté au Maroc.

D’autres qui stationnent en métropole espèrent bien reprendre le combat. Les rescapés du 8ème Cuir. à Villedieu presque tous anciens du 13ème Dragon de Melun, après la dissolution de l’Armée de l’Armistice entrent au maquis et sont tous massacrés par la Wermacht un matin dans une ferme à quelques kilomètres au Nord de Villedieu sur Indre. Leur nom figure sur un monument au mort qui se trouvait naguère à l’entrée de l’église de Villedieu ( peut-être a-il changé de place).

Enfin pour beaucoup de ces résistants de la 1ère heure de l’Armée de l’Armistice, leur affaire se termina souvent mal. Voyez ce qui arriva au colonel De Lattre de Tassigny.
Plus modestement, un sous-officier du 8ème Cuir à Villedieu qui avait escamoté plusieurs centaines de brodequins pour équiper plus tard les unités de la revanche a été arrêté par la police judiciaire de Châteauroux pour vol…

Pendant de nombreux mois beaucoup de ces anciens militaires n’arrivaient pas intégrer qu’un Maréchal de France et un officier général comme De Gaulle puissent être en opposition. Ils avaient imaginé que De Gaulle préparait la revanche de mèche avec Pétain qui lui se chargeait d’endormir les allemands…

Voilà ce qu’était un monde sans information ni communication comme l’était la France de l’époque.

D'autre-part il ne faut pas confondre "Armée d'Armistice" et " le 1er Régiment de France", unité du Vichy collaborationniste. Et encore ! il y a un capitaine de cette unité qui a participé ensuite en 44 à la libération de la France dans l'armée de De Lattre et en a reçu la légion d'honneur.

Vous voyez, madame Léon, qu’il faut se garder de jeter l’anathème sur un tel et un tel. Si votre papa, futur héros des Forces Françaises Libres, s’est engagé dans l’Armée de l’Armistice avant de rejoindre les FFL, c’est qu’il a cru bien faire pour servir la France comme d’autres avaient choisi les “Compagnons de France” ou les “ Chantiers de jeunesse” de Pétain et trouveront la mort en 1944 dans les maquis ou dans la bataille des Vosges dans l’hiver 1944 avec la 1ère Armée.

Cette époque est beaucoup plus compliquée que l’imaginent ceux qui ne l’ont pas vécue et qui doivent se garder de réduire cette période à une espèce de bataille navale simplifiée entre les bons et les mauvais.

* le "congé d'armistice" permettait à un militaire qui n'avait pas atteint l'âge de la retraite de bénéficier d'une solde entière puis réduite pendant un certains nombres de mois après le retour à la vie civile.