Bonsoir,
A la page 261, F. Kersaudy écrit :
Le capitaine Beaufre, (...), notera le 9 février (1943) :
"On continue de "penser Vichy", au mauvais sens du mot, parce qu'on n'a pas le courage d'étudier objectivement ce qui doit être gardé dans l'action de Vichy et ce qui doit être résolument jeté par-dessus bord... On se propose de revenir partiellement sur les mesures antimaçonnes, mais on le fait de façon telle qu'on accentue le caractère de brimade des premières mesures. On considère le problème israélite, on prétend le résoudre par des circulaires. L'opinion tout entière aspire à plus de liberté et jamais les contraintes n'ont été plus abondantes, jamais l'appareil policier n'a paru si lourd : la surveillance s'étend jusqu'à la vie familiale... on surpasse Vichy et on croirait que l'idéal est d'imiter le nazisme...On voudrait salir la gloire du commandant en chef qu'on ne s'y prendrait pas autrement qu'en l'entraînant dans cette atmosphère de basse manœuvre policière."
Et Kersaudy ajoute justement :
Encore le capitaine Beaufre donne-t-il l'impression que tout cela se fait largement à l'insu du général Giraud; or, rien n'est moins sûr, si l'on en croit le ministre résident de sa Majesté à Alger (H. Macmillan) : "A la mi-février, Murphy et moi étions allés voir Giraud pour lui parler des deux questions urgentes des prisonniers politiques et des juifs persécutés. [...] Bien qu'il ait promis de faire quelque chose au sujet des prisonniers et des camps, il a pris la mouche quand nous avons mentionné les juifs, en disant que si nos gouvernements se souciaient tant de leur sort, c'était parce que beaucoup de nos journaux appartenaient à des juifs. [...]
Curieuse cette note (ici tronquée) du capitaine Beaufre qui laisse entendre qu'il y aurait (eu) un Vichy positif et un Vichy excessif. F. Kersaudy a extrait ce passage d'une note de Beaufre reproduite par Eric Roussel dans sa biographie de de Gaulle (Gallimard, 2002).
Beaufre écrivait ensuite :
L'union avec le gaullisme (...) ne progresse pas tandis que l'opinion française se tourne de plus en plus vers lui... Nous ne pouvions avoir d'autre politique que de nous appuyer sur les Alliés(...) Pour cela, il fallait inspirer confiance, donc rompre les ponts avec Vichy et le nazisme et entrer résolument dans le camp de la démocratie... Au bout d'un mois et demi de pouvoir, trois semaines après Anfa, le régime d'Alger apparaît comme un pouvoir militaire de tendance fasciste, donc indésirable.
Eric Roussel écrit que Beaufre était le plus intelligent et le moins écouté des collaborateurs de Giraud.
Mais là aussi, la formule "il fallait inspirer confiance" peut laisser supposer qu'une fois cette confiance obtenue, on pouvait faire du "vichysme positif"... Curieuse formulation. Y avait-il un côté mandarin chez Beaufre ?
(La source citée par Roussel : SHAT, fonds Beaufre.)
Quant à la réaction de Giraud aux demandes de Macmillan et Murphy à propos de la suppression des lois antisémites, le background maurrassien du général ressurgit très vite.
Bien cordialement,
RC |