Bonsoir,
En essayant de suivre Putz, Warabiot et Roumiantzoff en patrouille autour d'Argentan, je me suis égaré sur les routes défoncées. En outre, la Nationale 24bis est encombrée par les chars de Patton qui, d'ordre en contre-ordre, ne savent plus quoi faire. Il faudra patienter pour l'acte 3 "entre Alençon et Argentan". En attendant allons aux nouvelles au PC de Leclerc. Celui-ci s'est installé sur le cote 191 au sud-ouest d'Argentan. Ce n'est vraiment pas l'endroit idéal pour installer un PC, sur le plan incliné d'un mamelon en pleine vue des Allemands. Ce qui intéresse Leclerc c'est le panorama sur le bocage normand et la ville d'Argentan.
Leclerc, qui ne tient pas en place, décide de rejoindre Roumiantzoff en route pour Argentan.
Le récit de Florentin:
*** Méprisant tous les avis, il [Leclerc] monte dans son char Tailly et pique vers la ville. Il semble que Roumiantzoff ait dû se replier devant une résistance trop forte, et voilà que le général fonce avec son canon de zinc, et quelques chars ramant derrière lui, formule évoquant les quatre chars de la section commandée par le lieutenant Pierre de la Fouchardière.
Le capitaine de Boissieu, commandant l'escadron de protection, en est à se reposer, dans une ambulance, d'une blessure essuyée la veille au matin, quand il apprend l'escapade du Patron. Et part, dans sa jeep pour rejoindre une patrouille, qui, au témoignage de Pierre de La Fouchardière, ne l'a pas vu. Et pour cause: "Arrivés en vue d'Argentan, témoigne celui que ses amis appellent affectueusement La Fouche, j'ai commencé par planquer le char du général, avec deux de mes chars, entre deux maisons d'un hameau à l'entrée de la ville. Puis,j'ai continué, en compagnie du char qui me restait. Lequel ne tarde pas verser dans un trou de bombe. Cinq minutes après, le char sort de ce mauvais pas, et nous pénétrons en ville jusqu'à une dizaine de mètres des lignes allemandes. Cette reconnaissance accomplie, il ne me reste qu'à retourner cher le général et mes deux autres chars. Qui n'avaient pas attendu mon retour et avaient disparu."
Le capitaine de Boissieu, quant à lui, a certes retrouvé la semi-patrouille du Patron sur un itinéraire "tout terrain selon l'orientation de la route Fleuré-Argentan. Arrêt à Sarceaux où je demande des renseignements. Mais au bout quelques centaines de mètres, je perds la liaison radio avec le Tailly. C'est que le général Leclerc a appuyé sur l'interphone de son micro pour donner directement des ordres de manoeuvre à son pilote, le chasseur François Bienvenue. Si bien que le général n'est plus en liaison avec moi".
S'il ne s'agissait que de perdre la liaison radio... Mais, un ennui n'arrive jamais seul. "Après avoir franchi la Baize et une zone marécageuse où ma jeep s'embourbe, nous écrit aujourd'hui le général de Boissieu, le char du général disparaît à ma vue. Comme il disparaît du regard de Pierre de la Fouchardière. Pendant un quart d'heure qui me paraît une éternité, j'ai le sentiment d'avoir perdu le général Leclerc."
Aux abords d' Argentan, les officiers à la recherche du général, aperçoivent les spahis que nous savons aux portes de la ville, à ronger leur frein.
- Avez-vous vu le général ?
- Rien vu du tout! D'ailleurs le coin est malsain !
"Comment pourraient-ils imaginer, explique le journal de marche, que le Sherman qui vient de passer sous leurs yeux emporte le commandant de leur division, suivi de deux chars légers qui ont également perdu toute liaison radio avec le Tailly " ? ...
Le capitaine de Boissieu est inquiet: "Impossible de transmettre au Tailly que le chef de peloton de spahis avec lequel je suis en liaison juge sa progression dans ce compartiment de terrain dangereuse. "
"En approchant des lisières de la ville, note, sur son journal personnel le capitaine Girard, des spahis nous font signe. Nous progressons à l'abri des haies, jusqu'à ce que nous trouvions Gerbemon.
- Personne n'a vu Le Roum ! nous dit-il. Mais il y a du gros sur la droite de la ville.
Le général, immédiatement, lance Tailly sur la droite, en esquissant à peine un arc-de-cercle. Et engouffre ses 35 tonnes dans une ruelle. De braves gens, en beaux habits du dimanche, nous applaudissent sur le pas de leur porte. Drôle d'impression! Par l'épiscope, je vois les mouvements de leurs lèvres former les mots: "il y a des boches."
Dans sa Jeep, le capitaine de Boissieu n'en mène pas large. D'autant que le lieutenant de La Fouchardière, avec qui il est en liaison radio, voit, dans ses jumelles, les chars allemands, canon dans notre direction, se déplacer dans les rues d'Argentan. Heureusement, un habitant lui signale qu'un Panther prend en enfilade la rue que le général s'apprête à franchir.
Le capitaine de Boissieu, "en manœuvrant à pied à travers les maisons, arrive à hauteur du Tailly pour voir le général, debout sur la tourelle, qui observe, à la jumelle, la progression des spahis" - retenons ce détail que nous développerons plus loin - "et la riposte des Allemands. Le général me regarde en souriant. Je reprends ma respiration".
Le capitaine Girard, à l'intérieur du char du Patron, se "décide à rappeler le général aux règles de la plus élémentaire sécurité. Pour ce faire, j'empoigne, sans cérémonie, la jambe de son pantalon, et tire dessus. La raison l'emporte, et il donne ordre d'accomplir demi-tour".
Non sans que le général Leclerc - précise le journal de marche de l'escadron de protection - "ait pris une bolée de cidre dans une maison des faubourgs pendant que son équipe rechenillait le Tailly en un temps record ".
Le lieutenant-colonel de Guillebon, qui avait tout entendu, sur sa radio, du dialogue angoissé entre le capitaine de Boissieu et le lieutenant de La Fouchardière, accueille, au retour, fraîchement le commandant de l'escadron de protection:
- Quand on a l'honneur de commander l'unité chargée de protéger le général Leclerc, on ne le laisse pas partir seul dans son char. Vous mettrez le Tailly en panne radio jusqu'au défilé de la Victoire exclu! Le général ne sera plus tenté de s'en servir! Je vous en rends responsable, capitaine de Boissieu! ***
Bien cordialement,
Francis. |