Bonsoir,
Saluons le retour de vacances de René par un extrait du livre de Pol Vandromme qui, en quelques traits féroces, brosse le portrait de Léon Degrelle campé dans le paysage de Rex.
*** La droite belge du temps n'appartenait pas aux négateurs des formes, aux ennemis des lois, mais aux réformateurs du droit constitutionnel qui écrivaient sur l'Etat comme on s'endort, avant d'être remuée, conquise, possédée comme une garce par un gigolo qui battait les estrades. Degrelle inventait le rexisme et le portait à bout de voix.
Rex, c'est, avant lettre, une espèce de poujadisme, une réaction sommaire et bruyante contre la décadence du régime parlementaire, contre les scandales financiers qu'il semblait tolérer et aussi, obscurément, contre les premières manifestations d'une société industrielle en train de s'établir. C'est le type même de la révolte d'une droite petite bourgeoise, et de la révolte d'époque: l'explication des malheurs du temps par les abus de puissances occultes, les manoeuvres de franc-maçonneries, les pilleries des gangs politico-financiers; l'éloge des vertus familiales, de la morale des notables, de l'épargne, de l'artisanat, de l'énergie populaire, de la salubrité publique, de la femme au foyer, de la nostalgie,- excitée confusément par la réussite des expériences étrangères,- de la république musclée. Le tout, exploité par un démagogue tonitruant, inventif et courageux,- lyrique des myosotis, des cathédrales, des plaines flamandes quand il cessait d'être un fanfaron qui engueule son monde,- popularisé par un poète épique de la caricature, l'allègre et féroce Jam. Le goût du chahut et du canular, qui conjuguait la tradition estudiantine et celle des camelots du Roi, coexistait bizarrement avec une ferveur religieuse à grand spectacle.
Degrelle coalisait contre le régime les puissances de l'indignation populaire. La politique, pour lui, c'était un certain accent coléreux du dégoût (et aussi du lyrisme scout) . Cela lui permettait de mobiliser à son profit, et autour d'idées vagues mais frappantes, en même temps que des générosités de girl-guides, les ressentiments de toutes sortes de clientèles.
Plusieurs publics,- et c'est la cause essentielle de son succès,- subirent la tentation du rexisme, et même y succombèrent. Degrelle, sans doute inconsciemment, en se fiant davantage à son instinct qu'à l'organisation d'une stratégie en règle, utilisa, pour les séduire, diverses méthodes et thèmes de propagande (de la campagne de discrédit à la poésie communautaire).
Il est facile d'en épingler quelques-uns. La jeunesse irrespectueuse et résolue, ce côté coq de préau qui enchanta Brasillach. Le moralisme matamoresque qui rencontrait l'exigence roturière, dans un pays où les seuls scandales touchent à l'argent et aux moeurs,- jamais à l'incompétence et à la médiocrité. La mise en scène de patronage qui faisait des rassemblements rexistes des cérémonies moitié foraines, moitié pseudo-religieuses. L'image du chef dur et pur, et tout le nietzschéisme primaire, mais d'apparence bonhomme, qui l'escortait. L'intrépidité d'un homme seul qui se bat sur tous les fronts, qui risque tout, qui provoque et qui traque les nantis sans crainte de leurs représailles,- un mélange de Tintin et de Saint-Ex. Ainsi de suite. ***
Bien cordialement,
Francis. |