Bonsoir,
J'ai relu "l'examen de conscience d'un Français" avec un intérêt beaucoup plus appuyé qu'en première lecture. Le texte est dense. Il est nécessaire de s'attarder sur chaque paragraphe, de les relier à d'autres pour comprendre le cheminement de la réflexion de Marc Bloch. Sans cette démarche, toutes les interprétations sont possibles. Ce texte, écrit de juillet à septembre 1940, reste d'une brûlante actualité. Moyennant quelques rares modifications de dates et de noms, il trouverait un large écho de nos jours et soulèverait une tempête d'indignation chez les uns et un concert d'applaudissements chez les autres... et vice-versa. Vice-versa?? En effet toutes les grilles de lecture sont possibles. Marc Bloch s'en prend à la bourgeoisie et aux classes dirigeantes: applaudissements à gauche. Un peu plus loin, ce sont les syndicats qui sont en point de mire: applaudissements à droite. Plus loin encore, la presse, le corps enseignant, les intellectuels, le système politique: remous divers. Bloch ne ménage aucun groupe social mais je redoute que chacun ne verra que la poutre dans l'oeil du voisin.
Je reprends, in extenso, l'extrait que vous citez.
*** Les révolutions nous paraissent tantôt souhaitables, tantôt odieuses, selon que leurs principes sont ou non les nôtres. elles ont cependant toutes une vertu, inhérente à leur élan: elles poussent en avant les vrais jeunes. J'abhorre le nazisme. Mais, comme la Révolution française, à laquelle on rougit de le comparer, la révolution nazie a mis aux commandes, que ce soit à la tête des troupes ou à la tête de l'Etat, des hommes qui, parce qu'ils avaient un cerveau frais et n'avaient pas été formés aux routine scolaires, étaient capables de comprendre "le surprenant et le nouveau". Nous ne leur opposions guère que des messieurs chenus ou de jeunes vieillards. ***
Mais qu'est-ce donc qu'avoir "le cerveau frais"?
L'extrait, ici hors contexte, surprend. Je le vois comme une rupture avec le passé de l'entre-deux guerres. "Ce n'est pas aux hommes de mon âge qu'il appartiendra de reconstruire la patrie". - "J'appartiens à une génération qui a mauvaise conscience". - "Nous avons préféré nous confiner dans la douce quiétude de nos ateliers". L'étrange défaite est à la fois un témoignage, l'analyse des causes d'une défaite militaire et morale mais aussi un testament adressé aux "cerveaux frais" capables de tirer les leçons des années de "somnolence" qui ont suivi la Première guerre. A est A, B est B; A n'est point B.
Passionnant cet ouvrage et une superbe source de débats toujours d'actualité et donc dérangeants.
NB: je ne me risquerais pas d'aborder le chapitre sur la réforme de l'enseignement. ;-)
Bien cordialement,
Francis. |