Marcel Bloch, historien,
participa aux combats de mai et juin 1940. Avec le grade de capitaine
attaché au 4e bureau de l'état-major de la 1e Armée, il assiste impuissant à la
débâcle des troupes alliées qui l'entraînent de Belgique jusqu'à Dunkerque où il
embarque pour l'Angleterre. De juillet à septembre 1940, il couche sur papier
ses réflexions sur ce qu'il a appelé "le procès verbal de l'an 40". Ces
écrits sont beaucoup plus qu'un récit ou un témoignage, ce sont une
analyse des causes profondes de ces évènements.
**** Ces pages seront-elles jamais publiées ? Je ne sais.
Je me suis cependant décidé à les écrire. L'effort sera rude: combien il me
semblerait plus commode de céder aux conseils de la fatigue et du
découragement! Mais un témoignage ne vaut que fixé dans sa première
fraîcheur et je ne puis me persuader que celui-ci doive être tout à fait
inutile. Un jour viendra, tôt ou tard, j'en ai la ferme espérance, où la France
verra de nouveau s'épanouir, sur son vieux sol béni déjà de tant de moissons, la
liberté de pensée et de jugement. Alors les dossiers cachés s'ouvriront; les
brumes, qu'autour du plus atroce effondrement de notre histoire commencent, dès
maintenant, à accumuler tantôt l'ignorance et tantôt la mauvaise foi, se
lèveront peu à peu; et, peut-être les chercheurs occupés à les percer
trouveront-ils quelque profit à feuilleter, s'ils le savent découvrir, ce
procès-verbal de l'an 1940. ****
C'est par ce texte que débute "L'étrange défaite". L'auteur écrit pour
les générations futures avec le ferme conviction que la période sombre qui
commençait ne serait pas éternelle.
Rentré en France, Marcel Bloch s'engage dans la Résistance. Alors qu'il
est membre de la direction régionale des MUR (Mouvements Unis de la
Résistance) à Lyon, il est arrêté le 8 mars 1943. Torturé par la Gestapo,
il est exécuté le 16 juin suivant. Son témoignage survivra et sera publié peu
après la guerre.
Le livre est impitoyable. Marcel Bloch est le premier a avoir décrit, dès
1940, avec autant de précision que la cause immédiate de la déroute des armées
était "l'incapacité du commandement": excès de paperasse, déficience des
liaisons et du renseignement, dilution des responsabilités, multiplication des
échelons et des grades, fragmentation du haut commandement, rivalités des
services et des chefs.... M. Bloch est tout aussi sévère pour les dogmes de la
guerre défensive érigée en doctrine après la Première Guerre ainsi que le
système de promotion qui place à la tête des vieillards incapables de remettre
en cause l'interprétation de leur victoire passée.
Dans le chapitre intitulé "L'examen de conscience des Français",
l'auteur analyse les causes plus lointaines de la défaite: les faiblesses
de la société française: le pacifisme et le défaitisme, l'instabilité
politique...
Outre le testament politique de M.Bloch et quelques lettres, l'ouvrage
propose encore six écrits clandestins publiés dans "Les Cahiers politiques",
l'organe clandestin du Comité général d'études de la Résistance. Ces écrits ne
manquent pas d'intérêts. Quelques titres: "Pourquoi je suis républicain", "La
vraie saison des juges", "Sur la réforme de
l'enseignement"...
Francis Deleu.