Bonjour,
Voici les premières lignes de la préface que Frédéric Rousseau a écrite pour le réédition en poche (Points)
sous le titre : "14 - 18, continuons le débat !"
"Sexes en guerre
Ce livre est l'un des premiers à avoir consacré de nombreuses pages à la vie affective et sexuelle des combattants de 14 - 18. En 1999, ce fut jugé scandaleux. (note : dans la revue "L'Histoire" notamment qui publia un article intitulé "Honneur aux poilus" dont Frédéric Rousseau nous dit que l'intitulé en soi est déjà très intéressant auquel il répondit dans le numéro suivant de l'estimable revue.) Depuis quelques années, pourtant, chacun connaît l'existence des BMC (Bordels Militaires de Campagne) généreusement offerts aux jeunes soldats français envoyés en Algérie. Quelques anciens ont d'ailleurs évoqué à visage découvert ces permissions sexuelles devant les caméras de télévision. Jacques Brel, on s'en souvient, en avait fait une chanson fameuse et terrifiante : "Au suivant !" Plus récemment, la presse s'est également fait l'écho de l'histoire sordide de ces milliers de Coréennes, les"femmes de réconfort", transformées en esclaves sexuelles pour le plaisir de la soldatesque japonaise durant la Seconde Guerre mondiale. (note : certains officiers japonais étaient particulièrement friands de pratiques sadiques très poussées si l'on en croit les descriptions rapportées par Lucien Bodard d'un ancien bordel militaire dans les dernières semaines de l'occupation japonaise du Tonkin !) Ces deux exemples suffisent à indiquer que les soldats de toutes les guerres demeurent des êtres sexués. Faut-il occulter cette réalité ? Au-delà, certains sujets seraient-ils interdits à l'historien ? En donnant une large place aux relations entre hommes et femmes, et à la sexualité durant la Première Guerre mondiale, "La Guerre censurée" donne une réponse nette à tous ceux qui prétendent enfermer l'historien dans les mailles du silence en dénonçant "l'bsession sexuelle" de l'auteur; un tel archaïsme historiographique est difficilement compréhensible. De fait, les combattants de la Grande Guerre ne furent pas les eunuques que la propagande patriotique s'est plu à célébrer. Malgré la guerre, malgré les séparations, malgré les fatigues et les souffrances, les combattants de 14 - 18 ont continué de penser, de rêver, de fantasmer et d'aimer le sexe opposé. Toujours plus obscène, dans les zones de repos, à proximité des cantonnements, en permission, des centaines de milliers d'hommes ont noué des liaisons souvent plus sexuelles qu'amoureuses, connu furtivement des femmes de rencontre ou des professionnelles de l'amour tarifé. Irrépressibles, malgré les pressions morales exercées tant sur les hommes que sur les femmes, ces relations sexuelles du temps de guerre ont menacé gravement la santé des soldats; sur tous les fronts, par centaines de milliers, ils souffrirent de maladies vénériennes et pour faire face à ce nouveau péril, des maisons de prostitution furent créées par les autorités militaires de tous les pays belligérants..."
(p. 7 et 8)
Ce qui est choquant, ce n'est pas les éléments apportés par Frédéric Rousseau sur le comportement affectif et sexuel des combattants de 14 - 18, mais bien les réactions scandalisées de certains de ses confrères historiens à la première publication de son essai. (en 1999 !)
Cette introduction à la réédition me semble importante.
Bien cordialement,
René Claude |