En lisant le livre de David Schoenbrun,"Soldats du Silence" (Plon), un ancien des services américains qui travailla à Alger en liaison avec des réseaux en France occupée après le débarquement de 1942, j'ai appris que le colonel Groussard avait été directement mêlé à l'arrestation de Pierre Laval en décembre 1940.
Cet officier hyperactif fut donc de bien des coups tordus à Vichy... Ancien chef du 2e bureau, il savait pas mal de choses et je suis persuadé, hélas sans pouvoir le prouver, qu'il a joué un rôle, direct ou indirect, dans l'affaire de Caluire. C'est une de ses agentes doubles (triple ?) qui accepta de collaborer avec le SD de Lyon pour indiquer le lieu de la réunion à Caluire: elle a toujours affirmé avoir agi sur ordre de ses supérieurs dans son réseau de renseignement, et c'était Groussard qui dirigeait les opérations clandestines. Toujours d'après les témoignages d'Edmée Delétraz, Groussard voulait avoir une "taupe" dans les locaux de la police nazie. Très bien, mais alors pourquoi avoir choisi cette agente de liaison peu susceptible d'être mise au courant des opérations délicates à un niveau supérieur...? Il aurait pu introduire un officier jouant le rôle d'un collaborateur enthousiaste. Une fois sa première arrestation connue, pourquoi n'a-t'il pas retiré cette femme fragilisée par une vie affective remuante et qui sortait avec un agent du SD ? C'est énorme et on se frotte les yeux ! Avant Caluire, elle avait pris part à l'arrestation de Berty Albrecht, l'assistante de Frenay, elle aussi marquée à gauche.
On sait l'anti-communisme implacable et militant de certains officiers de l'armée d'armistice, plus particulièrement ceux qui opéraient dans les différents services de renseignement et de répression agissant contre les gaullistes et les communistes.
Les alliances d'avant-guerre furent réactivées durant l'occupation et des passerelles furent posées entre des membres de la Résistance très à droite, des officiers de Vichy et des agents de l'Abwehr... Une des zones grises et dangereuses dans une période qui en compta beaucoup...
Pourquoi Edmée Delétraz ne fut-elle pas réellement entendue lors de l'instruction et durant le déroulement du procès Hardy ? Elle prétend avoir subi de fortes pressions à ce moment-là et ce n'est que dans les dernières années de sa vie qu'elle accepta de raconter sa version de l'affaire à Paul Dreyfus qui la crut. Lui aussi cherchait à comprendre les motivations du colonel Groussard; quels furent les buts à moyen et long termes de certains des résistants issus de l'extrême droite, quel jeu risqué ont-ils voulu jouer ?
Après la guerre, Groussard ne put jamais s'entendre avec De Gaulle qui lui aurait proposé de retravailler dans un secteur sensible.
Un consensus sur l'année 43 existait peut-être entre les deux hommes ; de Gaulle savait plus de choses sur la tragédie de Caluire que ses Mémoires de Guerre ne l'indiquent...
Les manipulations et intox de Groussard laissent un sentiment de malaise après en avoir lu le récit.
Delétraz est morte avec ses secrets et sa conscience et les Mémoires du colonel Groussard ne nous apprennent pas grand'chose, on s'en serait un peu douté.
Amicalement,
René Claude |