Je cite encore une intervention de Daniel Cordier concernant le malentendu, volontaire ou non, à propos du genre littéraire retenu par Lucie Aubrac pour son texte "Ils partiront dans l'ivresse". Daniel Cordier redit la nécessité morale d'une très grand rectitude au nom des "soutiers de la gloire", survivants ou morts :
"En vous écoutant, chère Lucie, je comprends mieux l'habileté de Roger Vailland avec "Drôle de jeu"(*). Ce sont en fait ses "mémoires" de résistant, qu'il eut la prudence de publier sous la forme d'un roman qui fut un succès et ne prêta à aucune controverse. Je constate qu'à l'inverse vous avez écrit un stimulant roman d'aventures que vous avez eu l'imprudence de présenter comme vos souvenirs. Ce glissement me paraît choquant. Voici pourquoi." Et d'illustrer son propos avec l'exemple de Gérard Brault, un radio, un de ces "soutiers de la gloire".
Et Cordier d'affirmer ensuite :
"Mais la gloire a un risque, Raymond et vous avez pris le risque de parler avec talent en leur nom (note : les sans-grade, les soutiers). Que vous l'ayez voulu ou non, vous êtes désormais des légendes vivantes. Lorsque vous écrivez un témoignage ou lorsque, dans les lycées, vous racontez votre expérience, vous avez un DEVOIR ABSOLU de VERACITE vis-à-vis de ces oubliés de l'Histoire. C'est un devoir différent que vous avez à l'égard des historiens, car il est purement MORAL. Quand vous multipliez les approximations, que vous n'apportez pas de réponses claires, que vous vous contredisez, vous ne rendez service ni à l'Histoire, ni à la cause que vous prétendez défendre. N'oubliez pas que vous parlez au nom des survivants muets ou des camarades morts pour la France. Si vous apportez cela comme témoignage de l'histoire dans vos conférences auprès des lycées et collèges, vous avez un devoir de mémoire qui est un devoir d'historien. En plus, vous avez une chance que je n'ai pas car vous êtes universitaire."
Bien cordialement,
René Claude
(*) Avec "Drôle de jeu", un excellent roman, Roger Vailland apportait un ton nouveau, cru, très réaliste et à millie lieues des récits édifiants alors en vogue dans la littérature de la Libération sur la Résistance.
Yves Courrière lui a consacré il y a quelques années une très bonne biographie "Roger Vailland, un libertin au regard froid" qu'il faudra un jour déposer ici. |