Ce mémorandum, plus connu que lu comme souvent les documents publiés (celui-là l'est depuis 1948), s'éclaire merveilleusement après l'avancée de Costagliola concernant le télégramme du 9 à 13h 04. Abetz a raison, et a de bonnes raisons, d'écrire que même le retournement de Darlan n'abolissait pas toute possibilité de collaboration vichysso-allemande. Et aussi d'écrire que le but de ce retournement pouvait être de conserver la mainmise de Vichy sur l'AFN.
C'est aussi quelqu'un qui plaide pour sa paroisse. On dit (y compris Lambauer) qu'il est en disgrâce, parce qu'apparemment il laisse à Schleier les clés de son ambassade pendant un an, de fin 42 à fin 43. En fait, et ce document même en témoigne, il reprend à Berlin le poste qu'il occupait avant guerre, et qui n'a jamais été subalterne, de conseiller de la Wilhelmstrasse pour les affaires françaises, ce qui en fait toujours le supérieur de Schleier... et il revient à Paris pour le dernier acte, quand le patron est requis en première ligne.
Ici, donc, il s'inscrit en faux contre l'opinion des militaires de Wiesbaden et autres lieux, qui d'une part ont mesuré trop chichement les moyens à l'armée de Vichy et d'autre part se fichent maintenant carrément de la figure des civils de l'ambassade, incapables de voir que Darlan leur échappait. Il critique indirectement et respectueusement Hitler, grand maître de la répartition des moyens et donc inspirateur du refus de la proposition vichyssoise (ce qui veut dire, entre autres, darlanienne) de collaboration d'octobre 42 (et peut-être aussi critique-t-il Hitler d'avoir pesé pour le remplacement de Darlan par Laval alors que l'amiral restait d'une docilité à toute épreuve).
Le propos n'est pas entièrement tourné vers le passé : il s'agit aussi de montrer qu'il reste des points d'appui pour le Reich à Vichy et qu'il ne faut pas se hâter de remplacer Pétain et Laval par Déat et Doriot. Il aura gain de cause, et la suite prouvera qu'il avait, du point de vue nazi, raison : Pétain et Laval avaleront toutes les couleuvres voulues jusqu'en août 44. En les menaçant au besoin du pire, par des échantillons de cruauté comme Oradour ou l'assassinat de Mandel. |