Désolé, je réalise qu'en effectuant mon copie-colle, j'ai laissé tomber la première partie du texte. Il s'agit donc de Jacques Benoist-Méchin, 60 jours qui ébranlèrent l'Occident, 1956, aux pages 169-172 de la collection Bouquins.
Le Führer convoque d'urgence ses conseillers militaires à son G.Q.G. de Charleville. Un Conseil de guerre a lieu auquel prennent part, outre Hitler lui-même, le général Keitel, chef de l'O.K.W., le général Jodl, chef des opérations, le général von Brauchitsch, Commandant en chef des forces terrestres, le général von Rundstedt, commandant le Groupe d'armées A, et plusieurs autres officiers généraux appartenant au Grand État-Major.
Le général von Brauchitsch propose une attaque de grand style des forces blindées dans la région Vimy - Saint-Orner - Gravelines. Son intention est de presser brutalement sur la poche de Dunkerque, d'isoler de la côte les troupes du G.A. 1 qui font retraite vers la mer, et de parachever leur investissement. « La plus grande bataille d'encerclement de l'Histoire, déclare Keitel, doit se terminer par l'anéantissement de toutes les troupes anglaises, françaises et belges qui combattent encore dans les Flandres. »
Mais Hitler repousse ce projet, qui représente à ses yeux une perte de temps inutile. Pour lui, le sort des forces alliées qui combattent dans les Flandres est déjà scellé. Qu'importe si quelques contingents s'échappent ? Ils n'en devront pas moins abandonner en totalité leurs armes et leur matériel. Ce qui compte, c'est de préparer sans délai le déclenchement des opérations k long de la ligne allant de la Somme à la ligne Maginot, pour ne pas laisser au Haut Commandement français le temps de reprendre haleine. Il ne doit avoir aucun hiatus entre la bataille des Flandres et la bataille de France.
D'accord avec le général von Rundstedt, Hitler prescrit, en conséquence
1° De ne plus pousser les Panzerdivïsionen vers le nord-ouest, mais de les regrouper dans la région de Saint-Quentin, en vue de la deuxième phase des opérations, dont le déclenchement est fixé au 31 mai.
2° De confier à l'infanterie et à l'aviation seules le soin de terminer la bataille des Flandres.
A l'issue de la conférence, Hitler, au grand étonnement de tous les assistants, se met à parler en termes admiratifs de l'Empire britannique, de l'utilité de son existence et de la valeur de la civilisation introduite par la Grande-Bretagne dans le monde. Il compare l'Empire britannique à l'Église catholique, les estimant tous deux des éléments indispensables à la stabilité générale. « Je demanderai seulement à la Grande-Bretagne, poursuit-il, de reconnaître la position prééminente de l'Allemagne sur le continent. Le retour de nos colonies serait évidemment souhaitable, mais ce n'est pas essentiel. Les colonies ne constituent qu'une question de prestige, puisqu'on ne peut les garder pendant une guerre et que, de toute façon, peu d'Allemands supportent le climat des tropiques. Je suis même prêt à offrir à l'Angleterre, si elle se trouve en difficulté où que ce soit, le soutien de mes armées. » Pour terminer, il affirme désirer une paix avec l'Angleterre « sur des bases que celle-ci accepterait comme compatibles avec son honneur ».
L'ordre d'arrêter l'avance des blindés est transmis aux commandants de corps, pour exécution. Cet ordre inattendu consterne les généraux. « Ils ressemblaient », dit le colonel Schmundt, aide de camp du Führer chargé de leur transmettre cette décision, « à une meute de chiens de chasse, arrêtés en plein élan juste avant la curée et qui voient s'échapper leur proie. »
« Le XLIe Corps cuirassé de Reinhardt avait déjà atteint la ligne Aire - Saint-Omer, à 30 kilomètres de Dunkerque, déclare le général von Kleist. Les blindés allemands étaient donc plus près de ce port que le gros des armées anglaises. A ce moment, un appel téléphonique du colonel von Greiffenberg, de l'O.K.H. , enjoignit aux formations cuirassées de stopper sur la ligne du canal, par ordre personnel du Führer.
« J'envoyai un message de protestation, mais reçus en réponse un télégramme très sec, disant : « Les divisions blindées doivent rester à portée moyenne de canon de Dunkerque (13 à 15 kilomètres). Les mouvements de reconnaissance et de protection sont seuls autorisés. (Note: Les premiers ordres enjoignant aux Panzers de stopper leur avance avaient été envoyés aux troupes la veille au soir, 23 mai)»
« Cet ordre me sembla incohérent. Je décidai de l'ignorer et de traverser le canal. Mes autos blindées entrèrent même à Hazebrouck, coupant les voies de la retraite britannique. J'appris plus tard que le Commandant en chef anglais, Lord Gort, se trouvait justement à Hazebrouck à ce moment-là . Je reçus un ordre, plus impératif encore me sommant de me retirer de l'autre côté du canal. Mes chars furent stoppés là pendant trois jours. »
« J'étais tout à fait à l'avant, avec les premiers chars, près de Bergues, raconte de son côté le général Thoma. De là , je pouvais voir tout ce qui se passait dans Dunkerque. Je communiquai directement par radio avec l'O.K.H., suppliant qu'on me laissât avancer. Ce fut en vain (Note: Le général Thoma, parlant à Liddell Hart, commet ici une erreur. Le 24, aucun Allemand n'était encore arrivé à Bergues et, de Bergues, il est impossible de voir ce qui se passe à Dunkerque. Mais la valeur psychologique de sa déclaration reste entière). »
Tous les généraux allemands se demandaient ce qui avait bien pu motiver cet ordre du Führer.
Von Kleist interrogea Hitler à ce sujet quelques jours plus tard, en lui faisant remarquer que la Wehrmacht avait perdu une occasion unique en n'occupant pas Dunkerque avant que les Anglais s'échappassent.
- C'est possible, répondit Hitler, mais je ne voulais pas que nos chars aillent s'enliser dans les marais des Flandres.
A d'autres interlocuteurs, Hitler expliqua que le nombre de chars immobilisés pour cause d'avarie était si grand qu'il voulait connaître la situation exacte avant de pousser plus loin. Il affirma également qu'il voulait conserver assez de chars pour l'offensive future contre le reste de l'armée française.
Le général Busch, non convaincu par ces arguments, estime que le Chancelier « avait quelque chose d'autre en tête ».
On a discuté à perte de vue sur cette question : quels ont été les motifs réels d'Hitler ? Or, après avoir lu et confronté l'ensemble des témoignages, publiés jusqu'à ce jour sur ce point controversé, il est impossible d'en tirer une conclusion définitive.
- Le Führer, assure le général von Rundstedt, comptait sur une conclusion rapide des opérations à l'ouest. Il n'a pas voulu créer l'irréparable entre le Reich et l'Angleterre, espérant qu'un arrangement surviendrait entre ces deux pays. C'est volontairement qu'il a laissé échapper le gros du Corps Expéditionnaire britannique, afin de faciliter les pourparlers de paix.
- Cette thèse est absurde, rétorque Guderian. C'était en capturant la totalité des forces de Lord Gort que l'on pouvait espérer amener les Anglais à composition. Leur laisser les éléments grâce auxquels ils pourraient lever - encadrer de nouvelles armées, c'était les inciter au contraire à poursuivre la guerre et les ancrer plus fermement que jamais dans leur résolution.
- Goering s'était engagé à régler le sort de Dunkerque avec la seule aviation, déclare le général von Kleist. Il avait supplié Hitler de ne pas accorder cet honneur à l'armée de terre, mais à la Luftwaffe, faisant ainsi de la bataille de Dunkerque une victoire du régime.
- Hypothèse sans fondement, rétorque le général Blumentrit. La Luftwaffe était largement dotée de bombes à shrapnells, qui formaient en explosant une gerbe de petits éclats, propres aux combats contre les troupes de terre ; elle ne possédait pas, à cette époque, les bombes perforantes à explosion retardée, seules capables de percer le blindage des bateaux de guerre. Hitler devait être au courant de ce fait, puisque le colonel Köller, le Chef des opérations de la III, Flotte aérienne, en avait informé lui-même le Groupe d'armées. Il ne faut donc pas s'étonner si l'opinion se répandit rapidement, dans l'État-Major de Rundstedt, que l'ordre d'Hitler ne fut pas uniquement dicté par des considérations militaires, mais aussi par quelque secret dessein politique.
Un seul fait est certain : Hitler arrêta les chars et chargea l'aviation de terminer la bataille. Ce faisant, Goering et lui surestimèrent grandement le pouvoir d'interception de la Luftwaffe.
Cette décision devait avoir des conséquences incalculables. Elle fut la première faute stratégique grave commise par le Haut Commandement allemand depuis le début des hostilités, car elle permit le réembarquement d'une partie des effectifs franco-anglais pris dans la souricière de Dunkerque. et qui, normalement, n'auraient pas dû en réchapper.
Emmanuel |