Bonjour,
Si Jean Cavaillès fut l'un des plus brillants esprits de son temps à s'engager dans la Résistance au nazisme et au régime de Pétain, ce qui le différencie de la plupart de ses collègues intellectuels (Brossolette est une autre exception), c'est l'affirmation d'une volonté d'en découdre physiquement avec l'occupant.
Chaque mouvement avait ses "phosphorants" qui planchaient sur des projets de nouvelle constitution pour l'après-Libération ou assuraient la ligne éditoriale des différents journaux et feuilles clandestines.
Très tôt, Jean Cavaillès voulut s'échapper du rôle dévolu aux chercheurs pour se lancer dans l'action sur le terrain.
Cette attitude atypique n'alla pas sans frictions avec les chefs de Libération-Nord qui avaient encore une vision réductrice du rôle de chaque militant engagé dans le combat résistant. Qu'un des plus talentueux philosophes et mathématiciens d'avant-guerre se mette à organiser des sabotages dans la région Nord suscita des interrogations et des critiques. En gros, Cavaillès reprochait aux autres cadres de Libération-Nord, Henri Ribière et Christian Pineau en tête, de se perdre dans des considérations et des querelles politiciennes qu'il estimait quelques fois un peu vaines en temps de guerre... Il fit le voyage de Londres pour défendre sa conception de la lutte. Il obtint gain de cause, Alya Aglan nous apprend qu'au début 1943, Jean Cavaillès est reconnu par le BCRA comme le chef de Libération-Nord tout en dirigeant le réseau "Cohors". Il est confirmé comme responsable de l'organisation des missions spéciales du mouvement. (recherches d'informations et de renseignements ET sabotages d'installations allemandes.
Mais Pineau ne s'avouait pas battu. Il affirma à Jean Moulin vouloir reprendre la tête de Libé-Nord.
Cavaillès se retrouvait soutenu par Londres mais isolé dans son propre mouvement puisque le Comité directeur de Libé-Nord se désolidarisa de son action.
Libé-Nord est très en retard par rapport aux autres mouvements pour l'organisation et la préparation du volet paramilitaire; la mission Passy-Brossolette ("Arquebuse-Brumaire") de mars et avril 1943 ne put que le constater. Jean Cavaillès va se charger de rattraper le retard dû aux choix de cadres comme Pineau. Jean Cavaillès est seul face à la lourdeur du mode de fonctionnement du Comité directeur formé de syndicalistes chrétiens, de socialistes que le bouillonnant mathématicien traite de confus, brouillons, vieux et aussi de vieux débris !
La rupture est alors inévitable : pour Alya Aglan, Jean Cavaillès estime "Début 1943, le temps venu pour lui de passer à une troisième phase d'affrontement direct avec l'ennemi. Cavaillès se démarque de plus en plus nettement de l'activité politique, qu'il juge sans doute à la fois prématurée et dépassée. C'est son amie Lucie Aubrac qui "lui fait rencontrer un lieutenant colonel de réserve épatant chef de l'AI (action immédiate). Ce lieutenant colonel (...), ancien de la guerre d'Espagne n'est autre que Louis Forcinal, qui constitue les groupes de renseignements et de sabpoages pour "Cohors" dans l'Eure."
Et Aglan d'ajouter un peu plus loin :
"La conception syndicaliste du combat et celle de Cavaillès et de ses amis se révèle alors incompatibles. Mais il est important de souligner que ces oppositions farouches sont structurelles, même si elles s'incarnent dans des rivalités, voire des ruptures entre des hommes (...) Pour résumer, il faudrait dire : à chacun sa résistance." (p.129)
Jean Cavaillès se trouve en plein accord avec la ligne ordonnée par De Gaulle concernant une résistance intérieure qu'il veut avant tout militaire. Le chef de "Cohors" peut alors affirmer qu'il est sur la même longueur d'ondes que Rex-Moulin.
Il prit part en personne à certaines opérations de sabotage, démontrant son besoin d'action et exprimant aussi la fascination qu'exerçait la lutte paramilitaire sur un intellectuel en rupture de palabres.
Cordialement,
René Claude |