Voici l'avis (plutôt critique) de David Schoenbrun
Pendant la même période, les ides de mars 1946, les Français et les Vietnamiens se dirigeaient inéluctablement vers un affrontement qui allait donner lieu à l'une des tragédies les plus longues et les plus destructrices de ce siècle tragique et sanglant. Un personnage anachronique était en train de semer à Saigon les graines de la catastrophe à venir. II s'appelait Georges Thierry d'Argenlieu, et le général de Gaulle l'avait désigné pour être le haut commissaire de la France en Indochine.
L'Indochine se composait de trois pays, le Vietnam, le Cambodge et le Laos, chacun ayant sa propre histoire, sa dynastie régnante, et théoriquement son gouvernement autonome. En réalité, chacun était une possession de la France, dirigée par des Français. L'amiral d'Argenlieu avait été l'un des « Compagnons » gaullistes des premiers jours de la France libre. Il était sorti à l'occasion du monastère où il s'était retiré après la Première Guerre mondiale. Moine d'un ordre carmélite où il s'appelait Père Louis de la Trinité, il représentait une résurgence des croisés médiévaux de Cluny. C'était un prêtre-guerrier. Avant de démissionner, de Gaulle lui avait remis ses instructions pour rétablir la souveraineté de la France sur ses colonies après la reddition japonaise.
J'ai eu l'occasion de rencontrer d'Argenlieu avant son départ pour Saigon et de converser avec lui. Son intention d'écraser impitoyablement la moindre insurrection, le moindre mouvement d'indépendance, me terrifia tout à fait.
Le nouveau gouvernement socialiste anglais, comprenant que la Seconde Guerre mondiale avait modifié l'ordre ancien, s'apprêtait à accorder son indépendance à l'Inde. Clement Attlee, qui avait remplacé Churchill comme Premier ministre, avait déjà évoqué la notion d' « auto-gouvernement » pour l'Inde, ce qui représentait un pas considérable en direction de l'indépendance. La guerre avait secoué l'immense territoire chinois, le sortant d'une longue torpeur et de la soumission au règne étranger. La Chine, maintenant libre, allait devenir une puissance majeure en Asie. Comment les Français pouvaient-ils ne pas comprendre, ne pas lire le message inscrit sur le mur? Comment l'Indochine pouvait-elle, prise entre la Chine libre et l'Inde libre, rester le vassal d'une France affaiblie et diminuée?
Le chef vietnamien d'un mouvement de guérilla clandestin qui avait travaillé en collaboration étroite avec les agents américains envoyés au Vietnam par le général McArthur sortit de la clandestinité après la capitulation des Japonais. Il s'appelait Ho Chi Minh. Les guérilleros, qui émergèrent avec lui, formèrent un Comité national de libération du peuple. Ce comité se réunit et « élut » Ho Chi Minh président du « Vietnam libre ». Il n'y avait pas de troupes françaises à Hanoi, dans le Nord-Vietnam, pour lui faire obstacle à ce moment-là.
David Schoenbrun Ainsi va l’Amérique de Roosevelt à Reagan p.185 |