C'est aussi la thèse de Jean Lacouture qui avait signé un engagement pour l'Indochine où il travailla comme jeune reporter pour la revue militaire Caravelle et rencontra Leclerc, Sainteny, Mus et Georges Buis, de fortes personnalités civiles et militaires à la vista politique. Le futur général Buis déclara au futur biographe de De Gaulle et de Mendès:
"On peut toujours dire que Leclerc est à l'écoute de Mus et de Repiton, que "sa" politique est la leur. Mais en ce genre d'affaire, il y a un responsable, et un seul. C'est bel et bien Leclerc qui décide et qui risque, c'est lui que d'Argenlieu essaie de torpiller, dressant de Gaulle contre sa politique, allant jusqu'à m'affirmer, à moi, que le corps expéditionnaire refuse de se battre ! Bien conseillé, Leclerc, oui. Mais seul responsable, quel que soit le résultat de ce que nous tentons..." Et il me racontera plus tard la pénible visite que Leclerc l'avait chargé de faire à de Gaulle retiré à Marly en avril 1946 - et pour expliquer et justifier la politique de négociation avec le Viêt-minh à un Connétable persuadé par les dépêches de D'Argenlieu que le foudroyant libérateur de 1945 n'était plus en Asie qu'un défaitiste avide de compromis. Plus bas, il ajoute ceci:
Nul ne peut affirmer que l'amiral d'Argenlieu s'était embarqué pour l'Indochine avec l'idée de rétablir le système colonial - sa correspondance de l'automne 45 fait paraître plus d'interrogations que de propositions - ni que Leclerc n'était parti que pour substituer la négociation à la guerre.
La confrontation avec la réalité indochinoise au lendemain de la Seconde guerre mondiale modifia la perception qu'en avaient les cadres civils et militaires français mais 60 ans après (en 2005), Jean Lacouture ne pouvait aller plus avant dans sa relation des points de vue de D'Argenlieu et de Leclerc.
Jean Lacouture, Une vie de rencontres, Seuil, 2005 (p.46-47)
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