La thèse faisant d'Aubry un agent allemand retourné
avant l'arrestation de Caluire ne me convainc pas, et pour trois raisons (qui, certes, n'engagent que moi) :
1) Il n'y en a aucune preuve, ni documentaire, ni testimoniale, alors que les aveux d'Aubry
postérieurs à son arrestation du 21 juin 1943 sont solidement établis, notamment par les témoignages du gestapiste Misselwitz, cités par René Claude, mais qui ne portent que sur la période postérieure à Caluire, jusqu'à sa libération en novembre 1943. Le fait que Misselwitz ne mentionne que cette époque prouve même
a contrario qu'Aubry n'a pu trahir antérieurement.
2) Ni le rapport "Flora", rédigé par Ernst Dunker, chef de la
Sipo-S.D. de Marseille, ni le rapport Kaltenbrunner du 29 juin 1943, n'indiquent qu'Aubry est un agent allemand, ni, à plus forte raison, qu'il a livré la réunion. En revanche, ces deux pièces
livrent le nom du véritable coupable.
3) Barbie s'est acharné sur Aubry dans les
deux jours qui ont suivi l'arrestation de Caluire, pour lui faire avouer qui était "Max" (Jean Moulin). Le Dr. Dugoujon, qui fait partie des détenus, a pu en témoigner. Deux jours de torture alors qu'Aubry est censé travailler pour le
Reich ? Absurde.
Pour finir, deux remarques.
Tout d'abord, Aubry était négligent, le fait n'est pas niable. Mais, ainsi que l'a reconnu Daniel Cordier, la négligence, l'inexpérience, l'amateurisme étaient le principe dans la Résistance.
Ensuite, Aubry a effectivement parlé, après son arrestation. Il a aidé Barbie à identifier Moulin, et a livré, de toute évidence, d'autres renseignements. Il n'en demeure pas moins qu'entre-temps il a été passé à tabac pendant deux jours. Qu'il ait craqué me semble, dès lors, peu surprenant.