En fait, la source de ces deux auteurs n'est autre qu'un stalinien pur jus, Nikolaï A. Voznessenski, alors chef du
Gosplan, et qui sera bien mal récompensé par son ombrageux patron, puisque Staline le fera exécuter.
Dans un livre traduit en français en 1948 (
L'Economie de guerre de l'U.R.S.S., Librairie de Médicis, Paris, 1948, p. 57), Voznessenski estimait que l'aide alliée n'aurait représenté que
4 % de la production globale soviétique en temps de guerre. Une proportion qui passera miraculeusement à 11 % en période de Détente Est-Ouest... Le calcul, à dire vrai, se fondait sur des chiffres erronnés ou invérifiables, à partir d'une enquête administrative inachevée. Qui plus est, le raisonnement, par trop global, négligeait nombre d'aspects de l'assistance alliée. Voir sur ce point l'intéressante contribution d'
Henryk Dunajewski, "Le Lend-Lease américain pour l'Union soviétique", Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 15, 1984, n°3. p. 21-89.
S'il s'agit de chiffrer l'apport uniquement
matériel des Alliés à la "Grande Guerre patriotique", les historiens parviennent à un bilan global suivant, même si mes propres recherches nécessitent une remise à jour (mais je manque un peu de temps pour résumer): 10.000 blindés et 20.000 avions, 700.000 camions, mais aussi 3.8 millions de pneus, 2.000 locomotives, 10.000 wagons, un immense matériel de signalisation des voies ferroviaires, 1.2 million de km de fils téléphoniques, 245.000 téléphones de campagne, 5.000 radars et stations de radiocommunications, 2.5 millions de tonnes de produits raffinés dont 500.000 tonnes d'essence à haut degré d'octane, 5.5 millions de tonnes de produits alimentaires, 23 millions de mètres de drap, 18 millions de bottes, 1.2 million de tonnes d'acier spécial, 220.000 tonnes de cuivre, 170.000 tonnes d'aluminium, 48.000 tonnes de plomb, 29.000 tonnes de zinc, 29.000 tonnes d'étain, 6.600 tonnes de nickel, 26.000 machine-outils (cf. Philippe Masson,
Une guerre totale, Hachette-Pluriel, 1993, p. 418-420). Une manne qui permettra aux Soviétiques de privilégier certains secteurs (chars et artillerie) aux dépends d'autres (logistique).
Toujours est-il que Lacroix-Riz a bien lu sa source (Voznessenski se référait à la
"production globale", notion qui se rapproche de celle de
"revenu national"), à l'inverse de Pauwels (qui se réfère au "seul"
"effort de guerre"), mais qu'elle use de statistiques minimalistes réfutées depuis belle lurette, et profère une énormité en assénant que le Prêt-Bail
"ne fut en réalité accordé à l’URSS qu’après l’extraordinaire victoire de Stalingrad", sachant que les premières livraisons d'armes sont intervenues dès juillet 1941 (hors régime du Prêt-Bail), que les Etats-Unis ont offert le 7 novembre 1941 de lever les obstacles juridiques à l'application du Prêt-Bail vis-à-vis de l'U.R.S.S., et que cette offre a été concrétisée par un accord conclu entre Washington et Moscou le 11 juin 1942.
Bref, Lacroix-Riz raconte, une fois de plus, n'importe quoi. Idem pour Pauwels.