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| | La bibliothèque de l'Histoire / HistobibliothèqueEn réponse à -2 Les conséquences du Traité de Versailles de Francis Deleu le lundi 22 novembre 2010 à 19h57Bonsoir,
Le Traité de Versailles portait-il en lui les germes de nouveaux conflits ? La question reste posée et les historiens ne s'accorderont sans doute jamais pour trancher dans un sens ou dans l'autre.
+ Dans la recension du livre de Clemenceau, Grandeurs et misères d'une victoire, Nicolas Bernard résume la pensée du "Tigre" : Le Traité de Versailles, plaide-t-il non sans raison, constituait un garant de la paix, Clemenceau étant même parvenu à imposer le désarmement du Reich. Mieux encore, il consacrait le principe de liberté des peuples (européens) à disposer d’eux mêmes, donnant ainsi à la Grande Guerre une coloration progressiste que démentait l’alliance avec la Russie des Tsars autocrates...
Ce que redoute Clemenceau, c’est plutôt que le Traité ne soit pas appliqué. L’Allemagne ne paie pas ses dettes correspondant aux réparations, lesquelles ont été considérablement réduites sur pression des Anglo-Saxons.
+ Proposons une autre analyse, celle de John Maynard Keynes, le célèbre économiste britannique qui représentait le ministère des Finances lors de l'élaboration du Traité de Versailles. Keynes estima que les réparations excessives imposées à l'Allemagne ruineraient son économie et risqueraient de perturber irrémédiablement l'économie européenne. Keynes avait déjà noté, en analysant le situation économique de l'Europe avant la Première Guerre, que tout le système économique européen se groupait autour de l'Allemagne, prise pour soutien central. La prospérité du reste du continent dépendait principalement de la prospérité et de l'esprit d'entreprise de l'Allemagne.
Keynes, en total désaccord avec les conditions du Traité, démissionnera de son poste de conseiller et publiera - en 1919 - un ouvrage célèbre que chaque économiste et chaque historien intéressés par les conséquences du Traité connaissent du bout des doigts : Les conséquences économiques du traité de la paix.
L'Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) a pris l'heureuse initiative de publier intégralement l'ouvrage (disponible, au choix, en trois format : Word, Pdf ou Rich text) : Les conséquences économiques de la paix
Pour les lecteurs ne disposant pas de loisirs suffisants pour lire l'ouvrage, ci-dessous un extrait significatif :
(...) la campagne accomplie pour faire payer par l'Allemagne les dépenses de guerre, nous semble avoir été un des actes les plus graves de folie politique dont nos hommes d'État aient jamais été responsables [1]. C'est vers un avenir bien différent que l'Europe aurait pu se tourner, si M. Lloyd George ou M. Wilson avaient compris que les plus importants problèmes qui devaient les occuper n'étaient ni politiques, ni territoriaux, mais financiers et économiques, et que les dangers qui menaçaient n'était pas dans des questions de frontières et de souveraineté, mais de ravitaillement, de charbon et de transports.
A aucun moment de la Conférence ils n'accordèrent à ces problèmes une attention suffisante. Mais en tous cas, l'atmosphère où ils auraient dû être sagement et raisonnablement étudiés était définitivement obscurcie par les compromissions de la délégation britannique sur la question des indemnités. Les espérances auxquelles le Premier Ministre avait donné naissance ne le forçaient pas seulement à défendre un fondement économique injuste et impraticable du traité. Elles le mettaient aussi en désaccord avec le Président Wilson, et en opposition avec les intérêts de la France et de la Belgique. Plus il devint évident que l'on ne pourrait pas obtenir grand-chose de l'Allemagne, plus il devint nécessaire d'avoir recours à l'avidité patriotique, à "l'égoïsme sacré" et d'arracher l'os à la France ou à la Belgique, qui en avaient davantage besoin ou l'espéraient avec plus de raison. Cependant, l'avidité ne pouvait pas résoudre les problèmes financiers dont l'Europe allait souffrir. Sa situation ne pouvait être améliorée que par la générosité.
Si elle doit survivre à ses peines, l'Europe aura tellement besoin de la magnanimité de l'Amérique, qu'elle doit la pratiquer elle-même. Il est inutile pour les alliés, échauffés encore d'avoir dépouillé l'Allemagne et de s'être pillés les uns les autres, d'espérer le concours des États-Unis, pour remettre sur pied les États d'Europe, y compris l'Allemagne. Si les élections générales de décembre 1918 s'étaient faites sur un programme de sage générosité et non d'absurde avidité, les perspectives financières de l'Europe seraient bien meilleures. Nous pensons encore, qu'avant la Conférence définitive, ou même aux débuts de celle-ci, les représentants de la Grande-Bretagne, ainsi que ceux des États-Unis auraient dû examiner à fond la situation économique et financière et être autorisés à faire des propositions fermes d'après les lignes directrices suivantes : toute la dette interalliée doit être annulée immédiatement, la somme qui sera payée par l'Allemagne doit être fixée à £ 2 milliards (...)
(...) l'examen scientifique des capacités de paiement de l'Allemagne fut écarté dès le début. (...) La position financière de la France et de 1'Italie [2] était si mauvaise qu'il était impossible de faire entendre raison à ces pays au sujet de l'indemnité allemande, à moins de leur indiquer en même temps quelque autre moyen d'échapper à leurs embarras [*]. À notre avis, les représentants des États-Unis eurent grand tort de n'avoir nulle proposition constructive à offrir à une Europe souffrante et bouleversée.
Il faut aussi noter en passant un autre élément de la situation, à savoir l'opposition qui existait entre la politique "d'écrasement" de M. Clemenceau et les nécessités financières de M. Klotz [3]. Le but de Clémenceau était d'affaiblir et de détruire l'Allemagne par tous les moyens possibles, et nous imaginons qu'il a toujours été quelque peu dédaigneux au sujet de l'indemnité, car il n'était pas dans ses intentions de laisser à l'Allemagne le moyen de manifester une grande activité commerciale. Mais il ne se donnait pas le souci de comprendre quelque chose, soit à l'indemnité, soit aux difficultés financières écrasantes de ce pauvre M. Klotz. Si cela amusait les financiers d'introduire dans le traité de très vastes réclamations, eh bien, il n'y avait pas de mal à cela, mais la satisfaction de ces demandes ne devait pas pouvoir faire obstacle aux exigences essentielles d'une Paix punique [4]. La politique « réaliste » de M. Clemenceau portait sur des conclusions irréelles ; celle de M. Klotz, faite de faux-semblants, sur des conclusions qui avaient une véritable existence, et leur combinaison a introduit dans le traité toute une collection de dispositions inconciliables (...)
[1] Keynes fait allusion aux discours de premier Ministre Lloyd George pendant la campagne électorale de 1918 : "La justice des réclamations n'est pas douteuse. L'Allemagne doit payer autant qu'elle le pourra. Mais nous ne la laisserons pas payer par des moyens qui ruineraient notre industrie"
[2] notamment en raison de l'inflation.
[3] Louis-Lucien Klotz, ministre des Finances dans le gouvernement de Georges Clemenceau. Lors du Traité de Versailles, il négocia les réparations dues par l'Allemagne. Il est l'auteur de la phrase célèbre : "Le Boche paiera."
[4] la "paix punique" ou la "paix carthaginoise"
[*] (Note de bas de page du livre de Keynes) - Lorsque l'on causait avec des Français, qui n'étaient nullement touchés par des considérations politiques, cet aspect de la question devenait évident. On pouvait les persuader que certaines évaluations courantes que ce que l'on obtiendrait de l'Allemagne étaient extravagantes ; et cependant, à la fin ils en revenaient toujours au point d'où ils étaient partis : "L'Allemagne doit payer; car sans cela que deviendra la France?"
+ Nous manquerions à notre "vocation pédagogique" en ne signalant pas, en contrepoint, l'ouvrage de Etienne Mantoux, La paix calomniée ou les conséquences économiques de M. Keynes.
Le livre, préfacé par Raymond Aron, est également publié intégralement sur le site de l'UQAC.
Bonnes lectures,
Francis. |
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